Gespiegelte Fassung der elektronischen Zeitschrift auf dem Publikationsserver der Universität Potsdam, Stand: 12. Januar 2011 |
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HiN XI, 21 (2010)
Über den Autor
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Réflexions européennes sur deux phases de mondialisation accélérée
chez Cornelius de Pauw, Georg Forster, Guillaume-Thomas Raynal et Alexandre de HumboldtRésumé
La lecture de Georg Forster (Reise um die Welt) et de Cornelius de Pauw (Recherches philosophiques sur les Américains) montre que les réflexions philosophiques sur l’Amérique effectuées sous le signe de la globalité et tenant compte de deux phases de mondialisation accélérée, qui doivent être nettement différenciées l’une de l’autre, sont toujours également des réflexions philosophiques sur l’Europe, son rôle dans le monde, dans l’histoire du monde et dans le commerce mondial.
L’Histoire des deux Indes de Guillaume-Thomas Raynal, qui connaissait très bien l’œuvre de Pauw, reprends avec des formulations presque inchangées le discours sur la signification éminente pour l’histoire du monde de la découverte de l’Amérique. Il élargit de façon programmatique la perspective des Indes occidentales avec celle des Indes orientales et donne au commerce - comme cela figure déjà dans le titre même de l’œuvre - une place importante et même décisive pour les bouleversements qui avaient transformé le monde de façon si fondamentale depuis la fin du XVe siècle.
Le discours sur les régions extra-européennes et en particulier sur l’Amérique avait au seuil du XIXe siècle commencé à se transformer de façon fondamentale avec la Voyage dans les Régions équinoxiales du Nouveau Continent, publié entre 1805 et 1838 comme un gigantesque livre de voyage avec trente in-folio grand format par Alexander von Humboldt. Humboldt avait développé dans ce cadre depuis 1805 une quantité incroyable d’études les plus diverses qui en tant que science globalisée et globalisante discutaient sans cesse ses propres résultats de recherche dans une perspective transdisciplinaire et comparative à un niveau mondial. Il concevait la science - à quelques exceptions près - non pas comme une force destructrice au service de l’expansion européenne mais comme une pratique du savoir au service de toute l’humanité.
Archéologie de la globalité en tant qu’archéologie de la mondialisation
Le titre du colloque dans lequel s’insèrent les réflexions qui vont être développées est tout autant suggestif et chatoyant que porteur et solliciteur d’interprétations. « Archéologie de la globalité » : cette formulation interroge de suite sur la signification des deux concepts centraux, mais peut-être encore plus sur la relation que ces deux pôles sémantiques peuvent élaborer et développer entre eux.
Ce titre qui ne semble qu’à première lecture empreint d’un caractère de proximité et d’évidence, nous place devant un double défi à savoir tout d’abord élaborer et appliquer, par rapport à une archéologie prise au sens figuré, une méthodologie qui reste à définir plus précisément et à concrétiser et, par ailleurs, répondre à la problématique non moins complexe de savoir dans quel sens le mot globalité est entendu, dans un sens par exemple climatique ou biologique, ou bien dans un sens géo-écologique ou spatio-géographique, ou encore philosophique ou bien relevant de l’histoire des mentalités, de la sociologie du savoir ou de la géopolitique, des sciences des religions ou encore de la bio-politique. Cette métaphore théorique ou scientifique renvoie-t-elle à la conception d’une stratification de l’histoire qu’il conviendrait alors de déblayer de façon stratigraphique pour en retrouver et sauvegarder les traces et, transposer alors les résultats des recherches d’une superposition dans l’espace en une succession dans le temps ? Ou bien est-ce que l’archéologie pourrait être elle-même pensée en tant que qualité de la globalité, c’est-à-dire en tant que son préliminaire, dans le sens où c’est elle qui, tout d’abord, permet à la globalité d’être pensée et comprise comme phénomène historique et comme unité ? Ou encore est- ce que la globalité elle-même - pour ainsi dire selon un genitivus possessivus - possède une archéologie, son archéologie propre qu’elle déploie dans l’espace et le temps et qu’elle pourrait même peut-être mettre sous sa coupe ? Aucune de ces possibles significations ne semble pouvoir être exclue du cadre ici tracé. Beaucoup d’éléments pourraient également tendre à signifier que, dans le cadre d’un tel colloque, la globalité devient l’objet d’une archéologie qui s’en empare - non plus en tant que subjectivus mais d’objectivus - pour concevoir la réalité actuelle de la globalité comme résultat d’un devenu historique dont il conviendrait alors d’analyser les différentes étapes de plus près.
Ceci tendrait alors - tout au moins à mon avis - à poser une question tout à fait décisive, et cette contribution tente effectivement de participer à sa problématisation et élucidation, en abordant non pas une globalité au singulier mais bien plus une globalité au pluriel. Car parler de l’archéologie de la globalité suggère certes un singulier, mais laisse aussi ouverte la question de savoir si c’est une préhistoire et protohistoire, en tant qu’antécédent de la globalité, qui doivent être étudiées ou si l’objet de cette archéologie inclut aussi des formes plus précoces de globalité et doit être compris non pas comme une préhistoire, mais comme un composant essentiel de la globalité dans son déroulement historique et spatial. Le fait de savoir dans quelle mesure une histoire de la globalité correspondrait à un phénomène historico-spatial et au savoir sur ce phénomène ou « simplement » à sa pré-histoire dépend essentiellement de la définition de ce que nous voulons comprendre et analyser sous le terme de globalité. Mais comment pourrait-on concevoir une globalité au pluriel ?
A cet endroit, il est tout d’abord indispensable d’effectuer une délimitation car je vais, dans ce qui suit, étudier uniquement la réflexion européenne entre le dernier tiers du XVIIIe siècle et la première moitié du XIXe siècle et ne renvoyer qu’en marge aux modes extra-européens de compréhension et construction de globalités. Les réflexions qui suivent ne s’attachent pas tant à analyser dans ses stratifications un état - la globalité - qu’il conviendrait de définir archéologiquement d’une façon ou d’une autre, qu’à rappeler à l’aide d’une focalisation très spécifique sur les dynamiques, les modes de représentation et de réflexion, le processus du déroulement historique même de la mondialisation. En choisissant un autre axe, celui du mode dynamique de constitution du global, nous n’échappons évidemment pas au problème de devoir précisément indiquer dans quelle mesure nous voulons attribuer certains phénomènes historiques à une histoire ou simplement à une pré-histoire de la mondialisation. De la réponse à cette question dépend non seulement la compréhension de la mondialisation mais aussi celle de la globalité - tout au moins dans le sens qui doit sous-tendre les réflexions sur l’archéologie du savoir présentées ici.
Une définition conceptuelle de cette sorte, même si elle peut apparaître tout d’abord comme très abstraite et très distante est, à vrai dire, d’une brûlante actualité (politique). En témoigne le rapport provisoire déposé le 13 septembre 2001, c’est-à-dire juste après les terribles attentats terroristes contre le World Trade Center et d’autres cibles aux Etats-Unis, rapport qui a été déposé après de longs travaux par une commission d’enquête du Parlement allemand sur la thématique « Mondialisation de l’économie - Défis et réponses ». Une étude de la « Carrière du mot » mondialisation[1] basée sur les occurrences apparaissant dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung prouve que le mot mondialisation, en tant que concept, est devenu très populaire dans les pays de langue allemande durant les années 1990 : de 34 occurrences en 1993, on passe à 175 en 1995, 535 en 1996 pour atteindre les 1062 occurrences en 2000[2]. Aujourd’hui, tout un chacun emploie ce concept qui commence, en tant que caractéristique médiatique largement diffusée dans les discours les plus divers, à perdre toute signification précise. Dans le rapport mentionné qu’entend-on par « mondialisation » ?
Selon la définition des tâches de la commission, le concept de mondialisation est compris en premier lieu dans une optique économique - sans éliminer entièrement les autres possibilités d’interprétation du terme - ce concept est présenté comme suit :
Globalisierung ist zunächst die weltweite wirtschaftliche Verflechtung. Vor 1990 war das Wort Globalisierung kaum in Gebrauch. Vielleicht wurde von der Internationalisierung der Wirtschaft gesprochen, die schon früher einsetzte. Sie hatte ihre Ursprünge in den Jahrhunderten der (europäischen) Seefahrer und setzte sich - auf tragische Weise - während der Kolonialzeit des 19. Jahrhunderts fort. […] Mit dem technischen Fortschritt beim Verkehr und der Kommunikation wurde die wirtschaftliche Verflechtung der Staaten, Regionen und der Erdteile immer intensiver. Später haben auch politische Zielsetzungen der regionalen Integration und der Friedenssicherung die wirtschaftliche Verflechtung gefördert.[3]
Le renvoi qui reste bien vague et peu défini aux siècles des navigateurs européens et à l’époque coloniale du XIXe siècle montre bien que de tels phénomènes sont compris, dans le meilleur des cas, comme éléments marginaux de la préhistoire de la mondialisation et que, de la perspective de la commission, ils contribuent peu à la définition du concept - aussi à cause de la tardive apparition du lexème. Et ce n’est pas tout, l’époque coloniale et le colonialisme sont donnés comme n’ayant pas grand-chose à voir avec le phénomène actuel puisque le concept de mondialisation ne peut leur être appliqué. « La » mondialisation apparaît comme phénomène singulier appartenant uniquement à la fin du XXe et au début du XXIe siècle, et ce pas seulement au niveau des mots, mais aussi comme Michel Foucault l’aurait formulé dans sa conception de l’archéologie - au niveau des choses comme quelque chose de nouveau[4]. Est-ce cependant exact, justifiable et fructueux de décrire la mondialisation comme une nouveauté ?
Considérons tout d’abord qu’une telle compréhension de la mondialisation n’est pas seulement dominante dans la politique, l’économie et dans une large part de l’opinion publique, mais qu’on la rencontre souvent aussi dans le domaine des sciences. Dans un autre contexte j’ai tenté d’introduire une autre compréhension de la mondialisation en tant que processus de longue durée marqué par des phases d’accélération, processus qui fonde les temps modernes, la modernité et la postmodernité et les relie entre elles de façon complexe[5].
Je pars du fait qu’il existe quatre phases de mondialisation accélérée qui se différencient les unes des autres par des caractéristiques spécifiques, sont délimitables dans le temps et débutent au moment où il fut pour la première fois possible de faire le tour du monde par voies maritimes grâce aux techniques de navigation des temps modernes et ainsi, de construire un système encore rudimentaire de communication et de transport de dimension mondiale et surtout, de maintenir ce système de façon durable. Ce schéma n’exclut en aucun cas d’autres phases d’accélération pour ainsi dire intermédiaires. Dans cette perspective l’objectif de Cristóbal Colón, à savoir d’atteindre les Indes par l’ouest se conçoit comme un projet de nature clairement globale utilisant le savoir ancien sur la forme de la planète et ayant recours aux techniques les plus modernes de navigation.
La première phase de mondialisation accélérée apparaît, de cette perspective résumée ici brièvement, comme étant l’expansion coloniale mondiale issue essentiellement des puissances ibériques, expansion qui repose sur les progrès des techniques de navigation et sur les « découvertes » ainsi rendues possibles depuis la fin du XVe siècle[6]. La deuxième phase de mondialisation accélérée se déroule, quant à elle, durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle et est conduite essentiellement par la France et l’Angleterre, en recourant en partie aux réalisations institutionnelles et économiques et aux succès des Hollandais au XVIIe siècle, réalisations qui possèdent un caractère fondamental à la fois « tardif » et « anticipateur ». Cette phase développe un système intensifié d’échanges commerciaux et de communication, dicté par les intérêts européens et dirigé par Londres, Paris et Amsterdam ; ce système construit de nouvelles formes d’élaboration et de classification du savoir, ces formes étant alignées sur la domination et les sciences européennes.
Dans la troisième phase de mondialisation accélérée, durant le dernier tiers du XIXe et le début du XXe siècles s’ajoute aux puissances européennes, pour la première fois avec les Etats-Unis d’Amérique, une puissance extra-européenne, même si elle est profondément marquée par l’Europe, qui intervient avec une force d’impact militaire navale croissante dans les combats néocoloniaux de répartition de territoires et dans les processus inégaux de modernisation qui concernent et transforment les régions les plus diverses de la planète. L’année 1898 marque dans ce cadre un tournant éminemment important, peut-être décisif, avec l’intervention des Etats-Unis dans la guerre hispano-cubaine, intervention qui signifie non seulement le début d’une suite ininterrompue d’interventions états-uniennes tout d’abord dans l’hémisphère américain, puis à un niveau mondial, mais représente aussi la première opération militaire qui, avec la mise en œuvre d’une technologie de transmission des plus modernes entre Cuba et les Philippines, les Etats-Unis et l’Espagne, fut médiatisée à un niveau global. Les guerres qui se déroulent à l’autre bout du monde commencent à constituer au XXe siècle des expériences médiatiques du savoir sur le vivre humain.
Enfin, l’époque étudiée par la commission d’enquête du Parlement allemand constitue une quatrième phase de mondialisation accélérée dont les processus d’accélération ne sont actuellement pas (encore) clos et reposent essentiellement sur la mise en place de systèmes électroniques d’échanges de données, sur le développement rapide de flux de capitaux agissant au niveau mondial et sur la disparition d’une répartition basée sur l’idéologie et une concurrence de puissance politique entre deux blocs rivalisant entre eux et utilisant l’arme atomique pour se menacer mutuellement. Les réseaux de communication globalisés et les autoroutes de l’information au niveau militaire, au niveau des mass médias et des cultures de masse, qui sont caractéristiques de cette phase, ont conduit sans aucun doute aussi à de nouvelles formes de perception, à de nouvelles sensibilités face au phénomène non seulement discursif du processus de création d’une société mondialisée (Verweltgesellschaftung[7]). On ne devrait cependant pas, même face à des phénomènes aussi fascinants, oublier la profondeur de champ historique et laisser disparaître dans une certaine obscurité tous les « antécédents ». La phase actuelle de mondialisation accélérée est un cas spécifique, pas une nouveauté.
Ma contribution à une archéologie de la globalité est conçue, par rapport à cet arrière-plan, comme un travail sur une archéologie de la mondialisation, qui a précisément comme point de départ des réflexions plus anciennes devenues historiques sur des phénomènes de mondialisation. En avant-scène se trouvent alors des auteurs et des textes dans lesquels on peut reconnaître un essai plus ou moins conscient et élaboré de mettre en relation la phase - pour eux actuelle ou close de peu - de mondialisation accélérée avec l’analyse de phases précédentes.
Le Berlin des XVIIIe et XIXe siècles n’était certes pas un lieu de la plus haute globalité ou de grande concentration mondiale. Pourtant les réflexions qui suivent, situées dans le contexte d’un travail sur l’archéologie de la mondialisation, reposent principalement sur des débats, des polémiques et des recherches qui ont souvent eu lieu à Berlin et Potsdam et y furent aussi présentées. Une contribution à l’histoire de la globalité de cette région, dans cette région pourrait ainsi, de façon annexe, voir le jour. Il est indéniable qu’il y a ici encore de nombreux travaux archéologiques à effectuer étant donné que cette période est enterrée sous les décombres d’événements historiques et de cataclysmes plus tardifs dont souvent le « travail de mémoire » qu’ils impliquent handicape pour le moins, précisément dans cette région, un rapport vraiment scientifique à l’histoire. On peut cependant espérer que le sentiment de malaise face à une pratique courante, visant à dégrader tout ce qui s’est passé avant le XXe siècle en une forme de préhistoire, va se développer. Si l’on considère les événements et discours historiques traités ici, on ne peut que constater qu’à l’heure actuelle, ces débats, dont la portée a largement dépassé la Prusse et l’Europe, ont presque entièrement disparu du champ de conscience et de la mémoire collective de notre région et en sont en quelque sorte radiés. Il pourrait cependant, précisément pour une rencontre qui à Berlin se donne comme objet l’archéologie de la globalité, s’avérer utile de rappeler l’ancrage régional d’un discours mondialisé et mondialisant.
Réflexions philosophiques sur l’Amérique en tant que réflexions philosophiques sur l’Europe
Dès le début de son « Discours Préliminaire » du premier volume des Recherches philosophiques sur les Américains, paru en 1768 à Berlin, sous le nom d’un certain « Mr. De P*** », Cornelius de Pauw ne laisse aucun doute quant à la portée au niveau pour ainsi dire de l’histoire mondiale de la (des) traversée(s) de Christophe Colomb alias Christoph Colombus :
Il n’y a pas d’evénement plus mémorable parmi les hommes, que la Découverte de l’Amérique. En remontant des temps présents aux temps les plus reculés, il n’y a point d’evénement qu’on puisse comparer à celui là; & c’est sans doute, un spectacle grand & terrible de voir une moitié de ce globe, tellement disgraciée par la nature, que tout y étoit ou dégéneré, ou monstrueux. Quel Physicien de l’Antiquité eut jamais soupçonné qu’une même Planète avoit deux Hémisphères si différents, dont l’un seroit vaincu, subjugué & comme englouti par l’autre, dès qu’il en seroit connu, après un laps de siécles qui se perdent dans la nuit & l’abyme des temps? Cette étonnante révolution qui changea la face de la terre & la fortune des Nations, fût absolument momentanée, parce que par une fatalité presqu’incroiable, il n’existoit aucun équilibre entre l’attaque et la défense. Toute la force & toute l’injustice étoient du côté des Européens: les Américains n’avoient que de la foiblesse: ils devoient donc être exterminés & exterminés dans un instant.[8]
Cornelius ou Corneille de Pauw[9], né en 1739 à Amsterdam, ayant grandi en partie à Liège, fréquenté des collèges de Jésuites à Liège et Cologne, ayant été peut-être parfois inscrit à l’Université de Göttingen, pointe dès les premières pages de son livre des oppositions et peint en des couleurs crues une représentation riche en contrastes et antinomies. Cette opposition qu’il a construite et soulignée plusieurs fois entre deux hémisphères entièrement différents s’étend aux éléments naturels des espaces des « vieux » et « nouveau » continents et à toutes les formes de vie qui ont pu se développer dans ces deux « Mondes ». De Pauw a tenté d’inclure dans l’incipit de son livre toutes les isotopies qui marquent ses Recherches philosophiques dans leur ensemble. Un travail volontairement rhétorico-littéraire qui avec ses éléments souvent polémiques - auxquels de Pauw doit aussi bien la rapidité de sa célébrité que celle de son oubli - a dû sûrement produire un effet sur le lectorat international de l’époque. L’Ancien et le Nouveau Mondes se trouvent ainsi dans un face à face implacable.
Les superlatifs et les oppositions ne concernent pas seulement la nature du Nouveau Monde dans lequel tout semble « dégénéré ou monstrueux », mais aussi précisément les processus historiques. Si la « Découverte de l’Amérique » est « l’événement le plus mémorable de l’histoire de l’humanité[10] » la « conquête du Nouveau Monde » constitue immédiatement après « le plus grand des malheurs que l’humanité ait essuié »[11]. Un hémisphère de la force qui n’hésite pas à utiliser la violence d’une façon brutale s’oppose à un hémisphère de la faiblesse, l’Ancien Monde s’oppose au Nouveau Monde dominé en tous domaines et qui sera rapidement soumis. De Pauw insiste plusieurs fois sur la rapidité, l’immédiateté de la destruction que signifiait pour les Américains l’arrivée fatale des Européens. Un combat entre les forts et les faibles qui, dans une perspective actuelle, pourrait être considéré comme darwinien connaît l’issue à prévoir.
Nulle note d’harmonie dans la gravure de Pauw, la terre est une planète des oppositions, à un point que les penseurs de l’antiquité n’auraient jamais pu imaginer - c’est-à-dire les penseurs d’un monde qui ne pouvaient pas encore avoir conscience de l’existence de cet autre monde. Dans le cadre de mises en scènes spectaculaires, on ne peut guère faire mieux que de Pauw dans son incipit. Celui-ci ouvre un débat mené en langue française tout d’abord à Berlin, qui certes reprend les discussions du XVIe siècle en Espagne mais les dote cependant des apports des sciences du Siècle des Lumières et en particulier de ceux de l’histoire naturelle au sens de Buffon. Nous pourrions nommer cette phase de discussions le « débat berlinois » (die « Berliner Debatte ») sur le monde extra-européen - ce débat ne s’étant évidemment pas uniquement déroulé à Berlin et Potsdam.
Cependant ce monde divisé en deux n’en forme qu’un et, les deux hémisphères, comme cela va rapidement devenir évident, sont dès lors inséparablement entremêlés et enchaînés l’un à l’autre. Cornelius de Pauw se révèle être, dés le début de son livre, un penseur de la globalité ou plus précisément le penseur d’une globalité qui est marquée d’une structure profondément asymétrique. Cette asymétrie eut comme conséquence la disparition de “l’ancienne Amérique” que les contemporains de la Conquista connaissaient encore, puisqu’elle fut “entièrement bouleversé[e] par la cruauté, l’avarice, l’insatiabilité des Européens”[12]. Les conquistadors espagnols sont devenus les Européens et leur violence dévastatrice débouche de suite chez de Pauw sur de possibles catastrophes de dimension mondiale. Un anéantissement de l’ensemble du genre humain dont la responsabilité lui incomberait devient tout à coup imaginable, une « extinction totale »[13] qui ne serait pas la conséquence d’une catastrophe naturelle mais celle de l’action humaine. Car, se basant sur l’expansion coloniale des XVe et XVIe siècles, de Pauw met en garde contre les conséquences de la deuxième vague d’expansion de l’Europe vers le reste du globe dont l’Abbé hollandais était lui-même le contemporain et l’observateur. L’Europe est en train de s’accaparer aux niveaux politique et scientifique des « Terres Australes », sous la direction des « Politiques » et les applaudissements de certains « Philosophes » sans considérer la quantité de malheurs qui va nécessairement s’abattre sur les peuples vivant dans ces contrées[14]. Cela ne concerne pas uniquement la politique d’expansion européenne comprise dans les sens militaire et économique mais, précisément et surtout, les sciences établies en Europe et leurs propres intérêts. Pour l’élucidation de questions géographiques épineuses ou pour la réalisation vérifiable de mesures de températures, on est prêt à prendre en compte « la destruction d’une partie du globe »[15]. Les sciences européennes apparaissent ici nettement au sein de leur logique interne devenue autonome, comme à la fois aiguillons et moyens d’une politique d’expansion européenne. Il conviendrait cependant de contrecarrer une telle évolution : « Mettons des bornes à la fureur de tout envahir, de tout connoître »[16]. Ici le savoir n’est pas seulement l’équivalent du pouvoir, il porte en lui - tout précisément dans la soif de connaissances des sciences européennes - le germe et la puissance d’une destruction, d’une autodestruction.
Ces propos ne déclenchèrent pas de débat international. Car, Cornelius de Pauw à cet endroit fait ressortir son point de vue peu considéré jusqu’alors, à savoir la réflexion critique sur la première expansion globale des Européens à la lumière de leur nouveau mouvement d’expansion dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle - non plus seulement « accompagnée » par la recherche scientifique et sa « percée » mais promue et mue par elle. Le clerc hollandais qui ne mâchait pas ses mots, qui à deux reprises tout d’abord en 1767 et 1768 puis en 1775 et 1776 bénéficia de la faveur royale à la cour de Frédéric II à Berlin et Potsdam, qui fut nommé plus tard par Antonello Gerbi en considération des années qu’il passa ensuite à Xanten « abbate prussiano »[17] avait reconnu la logique destructrice et autodestructrice d’une évolution dans le contexte de laquelle ce qui se produit en Europe peut avoir des suites directes et des conséquences sur le monde entier, sur l’humanité entière. Les collisions d’intérêts entre les Européens concernant les domaines coloniaux sont si exacerbées qu’il suffirait d’une étincelle pour que tout s’embrase :
[…] une étincelle de discorde, pour quelques arpents de terre au Canada, enflamme et embrase l’Europe ; & quand l’Europe est en guerre, tout l’Univers y est: tous les points du globe sont successivement ébranlés comme par une puissance électrique: on a agrandi la scène des massacres et du carnage depuis Canton jusqu’à Archangel; depuis Buénos-Aires jusqu’à Québec. Le commerce des Européens ayant intimement lié les différentes parties du monde par la même chaîne, elles sont également entraînées dans les révolutions & les vicissitudes de l’attaque & de la défense, sans que l’Asie puisse être neutre, lorsque quelques marchands ont des querelles en Amérique, pour des peaux de Castor, ou du bois de Campèche.[18]
Comme cela s’était déjà vu au XVIIIe siècle, les conflits dans le commerce mondial peuvent dégénérer en confrontations militaires que l’on peut considérer à juste titre comme des guerres mondiales. Les moindres sujets de discorde peuvent occasionner des conflits européens globaux et déclencher des guerres dans les régions qui semblent les plus éloignées et les plus reculées des deux hémisphères. Il est tout à fait significatif que de Pauw dans son premier volume des Recherches philosophiques, paru en 1768, prenne comme exemple de déclencheur de mondialisation de la guerre, le commerce des fourrures en Amérique du Nord, dans la mesure où il aborde ainsi une zone de conflits permanents entre les intérêts britanniques, français et espagnols. La bataille pour les peaux de castor, n’est-ce pas là un exemple particulièrement mal choisi pour illustrer la thèse d’un possible embrasement mondial ?
Il est tout aussi significatif et instructif dans ce contexte, que quelqu’un d’aussi célèbre que Georg Forster, qui avait accompagné avec son père l’Anglais James Cook lors de son deuxième voyage autour du monde, se serve précisément de l’exemple des peaux de castor pour y relier des réflexions sur une évolution des processus de mondialisation qui, de son point de vue, se déroulent bien différemment. Effectivement l’auteur bien connu du récit de son Voyage autour de la terre (Reise um die Welt[19]) - paru en 1777 tout d’abord en anglais puis entre 1778 et 1780 en allemand, récit particulièrement apprécié par Alexander von Humboldt - utilise cet exemple. Dans un texte détaillé, paru en 1791 - c’est-à-dire après la Révolution française - sous le titre « La côte Nord-Ouest de l’Amérique et son commerce de fourrures », il se sert précisément de ce commerce nord-américain qui peut sembler marginal pour développer des réflexions fondamentales :
Der Zeitpunkt nähert sich mit schnellen Schritten, wo der ganze Erdboden dem Europäischen Forschergeiste offenbar werden und jede Lücke in unseren Erfahrungswissenschaften sich, wo nicht ganz ausfüllen, doch in so weit ergänzen muß, daß wir den Zusammenhang der Dinge, wenigstens auf dem Punkt im Äther den wir bewohnen, vollständiger übersehen können.[20]
Georg Forster met ici en relief les rapides progrès d’un savoir - bien entendu européen - sur les relations dans l’espace planétaire, progrès qui proviennent sans aucun doute de l’expansion scientifique au cours de la deuxième phase de mondialisation accélérée. Ce n’est pas seulement « notre connaissance actuelle physique et statistique de l’Europe qui a atteint la perfection, mais aussi les parties de monde les plus éloignées » qui sont sorties de l’ombre « dans laquelle elles se trouvaient encore enfouies il y a peu de temps »[21]. La métaphore des Lumières éclaire de façon expressive la position personnelle de Forster. Les voyages de James Cook sur la côte Nord-Ouest de l’Amérique ont apporté beaucoup de nouvelles connaissances de telle sorte que « sans lui le commerce de fourrures entre la Chine et cette côte récemment découverte n’aurait pu certes que s’élaborer difficilement et, à ce propos, les cours de Madrid et Londres ne seraient entrées en conflit »[22]. Cependant les conflits militaires déclenchés par cette collision d’intérêts ne figurent pas au premier plan des considérations vraiment prophétiques de Forster concernant l’histoire du monde. L’énorme accélération constatée par Forster lui donne à penser qu’une nouvelle époque historique a commencé et qu’elle est indubitablement de dimension mondiale :
Hier beginnt eine neue Epoche in der so merkwürdigen Geschichte des Europäischen Handels, dieses Handels, in welchen sich allmählig die ganze Weltgeschichte aufzulösen scheint. Hier drängen sich dem Forscher so viele Ideen und Thatsachen auf, daß es die Pflicht des Herausgebers der neuen Schifffahrten und Landreisen in jener Gegend mit sich zu bringen scheint, alles, was auf die Kenntniß derselben Beziehung hat, in einen Brennpunkt zu sammeln und zumal einem Publikum, wie das unsrige, welches nur einen litterarischen, mittelbaren Antheil an den Entdeckungen der Seemächte nehmen kann, die Übersicht dessen, was bisher unternommen worden ist, und das Urtheil über die Wichtigkeit dieser ganzen Sache zu erleichtern[23].
Ce passage n’est pas seulement pour nous si révélateur parce qu’il décrit la situation spécifique d’un public de langue allemande qui, comme il n’appartient pas au cercle des puissances maritimes et coloniales, ne développe pas d’intérêt direct pour les colonies mais seulement pour l’élargissement d’un savoir diffusé par les livres. C’est surtout la thèse de Goerg Forster, qui partant du commerce des fourrures dans le nord de l’Amérique[24], établit l’existence d’une nouvelle époque dans laquelle toute l’histoire du monde se volatiliserait dans le commerce mondial. Thèse d’une très grande portée philosophico-historique où l’on souligne tout autant la perspicacité d’une subtile réflexion sur les suites de la deuxième phase de mondialisation accélérée à laquelle l’auteur de A voyage round the world a lui-même participé, que le phénomène plus général selon lequel l’accélération philosophico-historique produit un effet quasi stroboscopique. En effet, de la même façon que les roues des diligences ou des voitures à bâches d’un western classique semblent s’immobiliser quand elles ont atteint leur vitesse maximale, c’est dans les phases d’accélération historique que se produit l’effet d’une immobilisation, d’une post-histoire dont la perception semble évoluer parallèlement à l’apparition d’une pensée historique moderne[25]. C’est au centre du tourbillon du mouvement d’accélération que s’installe le plus facilement l’impression de très grand calme.
C’est précisément l’endroit où, dans les réflexions de Georg Forster, l’histoire du monde se dissout pour ainsi dire dans le commerce mondial pour faire place à une post-histoire. Dans les Recherches philosophiques sur les Américains de Cornelius de Pauw, cette phase paradoxale d’une histoire postérieure à la vie de l’homme sur la terre, dans laquelle une histoire de la planète Terre sans êtres humains et la fin de l’humanité dont l’homme est responsable, devient imaginable en tant que conséquence d’un mouvement d’expansion européen incluant tout précisément les sciences. La post-histoire de l’humanité et l’histoire après l’humanité, la dissolution dans le commerce mondial et la dissolution dans la conflagration universelle semblent les deux côtés d’une médaille qui ne circule que sous les temps de grande accélération et de transformations majeures. Pour de Pauw ce ne sont pas seulement les guerres que l’Europe a multipliées depuis le début de la Conquista dans l’autre hémisphère qui ont établi une communication globale signifiant la mort, mais aussi les maladies, transmises d’un hémisphère à l’autre qui ont des conséquences dramatiques. Le génocide dont les Indiens furent victimes se retourne dans la perspective historique de Pauw contre les Européens qui sont alors atteints de maladies épidémiques qu’ils ont eux-mêmes introduites :
Après le prompt massacre de quelques millions de Sauvages, l’atroce vainqueur se sentit atteint d’un mal épidémique, qui, en attaquant à la fois les principes de la vie & les sources de la génération, devint bientôt le plus horrible fléau du monde habitable. L’homme déjà accablé du fardeau de son existence, trouva, pour comble d’infortune, les germes de la mort entre les bras du plaisir & au sein de la jouissance : il se crut perdu sans ressource: il crut que la nature irritée avoit juré sa ruine.[26]
A plusieurs reprises dans ses Recherches philosophiques, de Pauw revient sur la dangerosité et la virulence de la syphilis alors attribuée au continent américain et souligne, surtout dans ce cadre, la grande rapidité de propagation mondiale d’une maladie qui - comparable à la maladie immunitaire de la quatrième phase de mondialisation - attend l’homme qui s’adonne au plaisir et succombe aux délices de la volupté. L’ecclésiastique hollandais, dont les descriptions de pratiques sexuelles qu’il effectue avec un certain plaisir surtout dans le deuxième volume, mériteraient une analyse spécifique dans le sens où elles relèvent d’une historiographie fortement hiérarchisée sexuellement, réunit les faits dont il a connaissance et souligne que ce fléau s’est répandu au cours des deux siècles qui ont suivi le retour en Espagne de Christophe Colomb en 1493 :
Ceux qui ont prétendu qu’il n’est parvenu en Russie que sous le regne de Pierre premier, ignorent apparemment qu’il sévissoit déjà en Sibérie dès l’an 1680, & s’étoit manifesté plus de soixante ans auparavant à Moscow, de sorte qu’il avoit achevé le tour du Globe, si l’on en excepte les Terres Australes, en 1700.[27]
C’est une grande chance, ajoute-t-il, que la découverte de l’Amérique ne se soit pas effectuée durant le Moyen-Âge, quand les nombreuses épidémies de lèpre ravageaient l’Europe, car la « funeste combinaison » au centre de l’Europe de ces deux maladies aussi dangereuses auraient alors eu des conséquences imprévisibles[28]. On pourrait déduire des Recherches philosophiques que l’expérience de la mondialisation (des mondialisations) implique ainsi pour l’Europe l’expérience d’une menace aussi bien de guerres (qui ont bien entendu été transférées dans les espaces extra-européens) que de maladies qui, venant des régions les plus éloignées, peuvent atteindre le cœur de l’Europe. On ne peut négliger le fait que la menace pesant sur l’existence de l’Europe à cause des épidémies et des pandémies représente un élément tout à fait notoire d’une expérience de la globalité. L’archéologie de la globalité pourrait facilement démontrer la continuité de cette peur européenne périodique face à des menaces issues de régions très éloignées de l’Europe. On ne peut imaginer une archéologie de la globalité sans une archéologie des peurs et menaces issues de cette même globalité.
La lecture de Georg Forster et de Cornelius de Pauw montre que les réflexions philosophiques sur l’Amérique effectuées sous le signe de la globalité et tenant compte de deux phases de mondialisation accélérée, qui doivent être nettement différenciées l’une de l’autre, sont toujours également des réflexions philosophiques sur l’Europe, son rôle dans le monde, dans l’histoire du monde et dans le commerce mondial. C’est là que réside la signification spécifique de cette construction antinomique du monde que de Pauw développe dans ses Recherches philosophiques et qui construit deux hémisphères, qui à tous les niveaux s’opposent en tant que contraires absolus :
La différence d’un Hémisphère à l’autre étoit donc totale, aussi grande qu’elle pouvoit l’être, ou qu’on puisse l’imaginer. Je conviens qu’il est difficile de rendre raison d’une si étonnante disparité entre les deux parties constituantes d’un même globe.[29]
La fonctionnalité de cette construction réside cependant dans l’objectif de faire de l’Amérique par rapport à l’Europe un Autre absolu et de pouvoir ainsi faire prendre conscience de la supériorité de l’Europe, de sa mission civilisatrice mais aussi du fait qu’elle est menacée. Il n’était depuis longtemps plus possible de penser l’Europe en tant qu’entité à facettes multiples en dehors de cette globalité et de ses phases de mondialisation accélérée.
Une histoire coloniale en tant qu’histoire oubliée de l’époque coloniale
Tout de suite après la parution du premier volume, la réception de l’œuvre dans la République des Lettres du XVIIIe et du début du XIXe siècles, européenne aussi bien qu’extra-europénne s’est concentrée sur la thèse de l’infériorité essentielle, de par nature, du Nouveau Monde et de ses habitants et une compréhension de l’œuvre en tant que « probably the most scathing denunciation of America and everything Americain that was ever written »[30] s’est perpétuée - certes non sans raison - jusqu’au XXe siècle. Comme nous l’avons vu de Pauw n’avait, dès la première page de ses Recherches philosophiques, pas douté de ce que sur l’autre « moitié du globe » tout ne soit par nature « défiguré », « dégénéré » et « monstrueux »[31].
Il est certain, comme l’ont prouvé un grand nombre d’analyses, que Cornelius de Pauw se situe dans une tradition discursive qui, d’une part renvoie à l’œuvre gigantesque de l’Histoire naturelle de Buffon[32] et d’autre part reprends les schémas argumentatifs qui s’élaborent déjà dans les débats du début du XVIe siècle entre Las Casas et Sepùlveda. Ils incluent égalemnt des éléments de description et de discours qu’Aristote formulait dans sa justification tout aussi célèbre que critiquée de l’esclavage, qui serait pour ainsi dire une donnée de la nature[33]. Le fait que les volumes de Pauw s’inscrivent dans cette double tradition discursive est tout aussi irréfutable que le fait que, celui qui séjourna à la cour de Frédéric le Grand, ait intensifié la thèse de l’infériorité et de son élargissement radical aux Américains, aux populations indigènes du Nouveau Monde. Il devait supposer que cette thèse - malgré toutes les critiques qu’elle contenait envers une Europe qui avait abusé dans tous les domaines d’une « supériorité » jamais remise en question[34], rencontrerait une forte opposition non seulement de tous ceux qui se considéraient - qu’ils soient proches ou non du célèbre Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes[35] de Rousseau - comme des partisans de la thèse du « bon sauvage ». Dans cette œuvre aucune trace du bon sauvage, ni de ce que Bernardin de Saint-Pierre appellerait plus tard les Harmonies de la nature. Pour rendre cette assertion pplus visible, de Pauw a ajouté dans le deuxième volume paru en 1769 des passages qui ne manquent ni de clarté ni d’intensité. Il y décrit l’espèce humaine comme suit :
Le véritable pays où son espèce a toujours réussi & prospéré, est la Zone tempérée septentrionale de notre hémisphère : c’est le siége [sic !] de sa puissance, de sa grandeur, & de sa gloire. En avançant vers le Nord, ses sens s’engourdissent & s’émoussent : plus ses fibres & ses nerfs gagnent de solidité & de force, par l’action du froid qui les resserre; & plus ses organes perdent de leur finesse; la flamme du génie paroît s’éteindre dans des corps trop robustes, où tous les esprits vitaux sont occupés à mouvoir les ressorts de la structure & de l’économie animale. [...] Sous l’Equateur son teint se hâle, se noircit; les traits de la physionomie défigurée révoltent par leur rudesse: le feu du climat abrége [sic!] le terme de ses jours, & en augmentant la fougue de ses passions, il rétrécit la sphère de son ame: il cesse de pouvoir se gouverner lui-même, et ne sort pas de l’enfance. En un mot, il devient un Nègre, & ce Nègre devient l’esclave des esclaves.
Si l’on excepte donc les habitants de l’Europe, si l’on excepte quatre à cinq peuples de l’Asie, & quelques petits cantons de l’Afrique, le surplus du genre humain n’est composé que d’individus qui ressemblent moins à des hommes qu’à des animaux sauvages : cependant ils occupent sept à huit fois plus de place sur le globe que toutes les nations policées ensemble, & ne s’expatrient presque jamais. Si l’on n’avoit transporté en Amérique des Africains malgré eux, ils n’y seroient jamais allés : les Hottentos ne voyagent pas plus que les Orangs [...].[36]
De la perspective choisie ici, il est hautement significatif que le philosophe hollandais choisisse le fait de voyager, et donc la mobilité spatiale, comme caractéristique différenciant les hommes « supérieurs » des hommes « inférieurs » et l’être humain des singes et des animaux. Si l’on considère une telle conception de l’Européen en tant que consécration de l’humain et celle visant à associer l’immense majorité de tous les peuples extra-européens plus à l’espèce animale qu’à l’espèce humaine et, justifiant donc à juste titre leur mise en esclavage, comme un simple fait d’« eurocentrisme », on minimise clairement et de façon irresponsable la portée de ces propos.
Cependant le calcul de Pauw, visant à placer ses thèses dans la discussion polémique et l’intensification argumentative des travaux scientifiques de l’époque porta ses fruits. Peu de temps après la publication du deuxième volume de Pauw, Antoine-Joseph Pernety, qui, ancien Bénédictin et aumônier de marine durant le voyage de Bougainville aux Maldives en 1763, obtenait la protection de Frédéric II et un poste de bibliothécaire, présenta le 7 septembre 1769 devant l’Académie berlinoise une intervention contre les thèses du Hollandais et publia l’année suivante sa Dissertation sur l’Amérique et les Américains, contre les Recherches philosophiques de Mr. De P***[37]. Le « Débat berlinois » avait commencé et ses conséquences bien au-delà des frontières de l’Europe sont connues. De Pauw n’avait fait qu’attendre cette contre-attaque, qui en quelque sorte transformait sa dévalorisation des Américains en une contre-image idéalisante de tout ce qui est américain, et publia de bonne grâce l’attaque de Pernety dans une nouvelle édition riche alors de trois volumes de ses Recherches, parue à Berlin encore durant l’année 1770. Il y ajouta un texte véhément mais dont la portée était calculée et qui défendait ses propres thèses de plus en plus connues et dont l’influence allait grandissant[38]. On peut certes reconnaître dans les textes de Pernety des « elements of a modern ethnological attitude »[39], ses schémas argumentatifs restent cependant très proches de ceux des thèses de Pauw, qu’il n’a fait parfois que de placer sous d’autres auspices. Le fait qu’on lui confia la rédaction de la première partie de l’important article que nous avons déjà signalé sur l’« Amérique » qui devait paraître dans le supplément à l’Encyclopédie de 1776, montre que de Pauw continuait à être considéré comme un spécialiste de l’Amérique et qu’il dominait encore à ce moment-là dans ce type de discussions comme dans d’autres. Que Pernety se soit présenté comme un témoin oculaire (en référant à son voyage dans le Nouveau Monde aux côtés de Bougainville) n’avait pas eu l’effet de persuasion attendu : de Pauw, qui n’avait jamais même essayé de vérifier sur place ses « Recherches » sur les Américains, correspondait à l’esprit du temps et son œuvre allait pendant de longues années encore se trouver au centre de débats de portée mondiale sur l’Amérique et les Américains, débats qu’il avait lui-même déclenchés.
Depuis la controverse avec Pernety quant à l’infériorité ou la supériorité des Américains ou des sauvages par rapport aux Européens, les Recherches philosophiques ont toujours été réduites à la thèse insistante de l’infériorité de l’Amérique et des Américains, ce qui constitue une perception qui se prolonge au cours du XXe siècle au travers de l’analyse de Pauw, se ranimant de façon bien sûr sporadique. Malgré le caractère extrême et durable des réactions à l’œuvre principale de Pauw qui se prolongent jusqu’à une date avancée du XIXe siècle[40], une telle lecture a en fin de compte mené à ce qu’ensuite on ne traitât au mieux de Pauw qu’en quelques phrases pour passer ensuite à des auteurs plus importants. C’est au plus tard dans la deuxième moitié du XIXe siècle que le nom de Pauw a disparu définitivement des débats sur le Nouveau et l’Ancien Mondes, il n’y a que peu de spécialistes, semble-t-il qui s’intéressent encore à ses écrits.
On ne devrait cependant pas mésestimer l’effet à long terme[41] de cette œuvre rédigée en français et parue il y a maintenant presque deux siècles et demi à Berlin, ni commettre l’erreur de réduire l’ensemble de l’œuvre à la thèse de l’infériorité. Susanne Zantop, disparue tragiquement il y a peu d’années, a tenté de rompre avec cette réception traditionnelle en se demandant si les Recherches de Pauw pouvaient être interprétées comme « symtomatic for Enlightenment thought » dans la mesure où son modèle d’explication apparemment rationnel - dans le sens de la Dialectique des Lumières de Max Horkheimer et Theodor W. Adorno - se transformerait face à l’autre en « mythe de l’horreur » et donc en essais de soumettre cet Autre, de le dominer[42]. C’est précisément là que réside, selon Zantop, l’attrait spécifique que Pauw exerçait sur le monarque prussien et les Allemands en général, qui - hormis quelques relations ponctuelles - n’auraient entretenu qu’une relation intellectuelle avec le Nouveau Monde[43]. Ceci constitue un argument que nous avons déjà rencontré dans le texte de 1791 de Georg Forster. Le livre de Pauw pourrait ainsi être lu comme « an invitation to colonial activity on all fronts » dans la mesure où Pauw a assuré ses lecteurs allemands que ceux-ci n’avaient aucune responsabilité dans l’histoire coloniale jusqu’à cette époque, histoire coloniale que Pauw critique dès le début comme une suite d’actes de violence sanglants[44]. Le message transmis au lectorat prussien et allemand était donc clair : si la nécessaire colonisation des Américains doit être effectuée par un peuple civilisé, dans lequel les sciences et les arts sont en pleine expansion et qui aime l’ordre et le travail, alors les Prussiens et les Allemands devraient se préparer à une telle tâche et saisir la prochaine occasion qui se présenterait.
Relier les thèses de Pauw avec la théorie d’Horkheimer et d’Adorno constitue sans aucun doute une équation intéressante et fructueuse car elle pourrait conduire à réorienter la Dialectique des Lumières vers la question de l’infériorité ou de la supériorité des peuples indigènes d’Amérique. L’incommensurabilité de la prétention de supériorité de Pauw se développerait à partir d’une dialectique interne aux Lumières pour prendre ensuite un caractère totalitaire - même si, comme nous l’avons vu, de Pauw exprime, dès le début de son livre, de sévères réserves face à la deuxième phase de mondialisation accélérée. Nous devons toutefois remarquer qu’une telle argumentation pourrait peut-être expliquer le succès des Recherches philosophiques en Prusse et dans les pays de langue allemande mais certainement pas dans toute l’Europe - si on en exclut l’Espagne directement et sévèrement visée par les attaques de Pauw. Par ailleurs Susanne Zantop ne démontre pas dans quelle mesure les écrits de Pauw ont eu véritablement cet effet et n’indique pas si leur impact en Prusse et en Allemagne peut être prouvé.
D’autre part, on ne peut cependant pas nier que les Recherches philosophiques sur les Américains aient exercé un effet certes diffus mais de longue durée et souvent subcutané qui ne peut en aucun cas relever que du rapport explicite au nom de Pauw. Avant tout - et cela me semble être d’une portée bien plus importante pour la question que nous traitons ici - Cornelius de Pauw, qui après ses deux tournées plutôt brèves à Berlin et à Potsdam s’est rapidement retiré à Xanten (où il mourut en 1799), a su utiliser pour ses objectifs l’espace public alors en train de se créer. En effet, le succès de son texte, qui fut imprimé à Berlin et déclencha des polémiques, a eu comme conséquence que l’attention publique de la République des Lettres de langue française soit attirée sur une région auparavant plutôt marginale, qui n’était pas célèbre pour ses relations mondiales. Mais c’est précisément en ces lieux que des thèmes importants relevant de l’histoire mondiale et des interrogations philosophico-historiques de dimension globale ont été discutés publiquement, de telle sorte que Berlin est devenu, en un certain sens, un important point de croisement des débats conduits avec une véhémence croissante des deux côtés de l’Atlantique.
Ceci était clairement une innovation, même si le Brandebourg et la Prusse ne se sont pas - à l’encontre de ce qu’on croit habituellement - au cours de leur histoire tenus à l’écart de toutes activités coloniales. Que le Grand Électeur ait eu en son for intérieur des ambitions d’expansion coloniale et qu’il ait ouvert la voie à des premiers projets d’« engagement » colonial pour son pays n’avait sûrement pas échappé à l’abbé né à Amsterdam. Frédéric-Guillaume 1er (1640-1688) avait étudié à Amsterdam et avait vu de près comment le commerce maritime et la politique coloniale pouvaient catapulter un petit pays dans le rôle d’une puissance commerciale internationale dominante[45]. Un ancien amiral hollandais, Arnoult Gijsels proposa en 1647 en qualité de conseiller des princes électeurs de fonder une compagnie de commerce sous direction brandebourgeoise. Et, parallèlement des négociations eurent lieu avec le Danemark sur la vente d’un comptoir danois, Tranquebar[46].
Les succès ne furent pas immédiats. Ce fut à nouveau un Hollandais, l’armateur Benjamin Raule, qui aida le Brandebourg à la constitution d’une flotte. Promu en 1677 au poste de « Directeur général des Affaires maritimes » il devint ensuite Ministre des transports maritimes et des colonies[47]. Enfin, en 1680 deux expéditions sous pavillon brandebourgeois prennent la mer. Le premier comptoir colonial brandebourgeois, Großfriedrichsburg, sur la côte appelée Côte de l’Or, celle du Ghana actuel, fut effectivement fondé juste à côté de possessions hollandaises et britanniques ; Großfriedrichsburg contrôlait 50 kilomètres de côte. La deuxième flotte brandebourgeoise réussit à prendre en course devant Ostende un bateau espagnol, le « Carolus Magnus » qui commença une seconde carrière sous le nom « Markgraf von Brandenburg » en tant que vaisseau-amiral de la flotte brandebourgeoise[48]. Après les premières expéditions corsaires des Brandebourgeois dans la Mer des Caraïbes fut créée en 1682 la « Compagnie brandebourgeoise d’Afrique » qui comprenait beaucoup de Hollandais et en partie aussi des Huguenots, elle fut appelée en 1692 la « Compagnie brandebourgeoise d’Afrique et d’Amérique ». Le port de la Frise orientale, Emden, fut déclaré par contrat port principal de la flotte brandebourgeoise.
Sans vouloir poursuivre en détails l’évolution des comptoirs et des possessions du Brandebourg, on peut quand même noter que le Brandebourg s’engagea dans le lucratif commerce triangulaire et qu’en 1686 un premier bateau brandebourgeois venant de Großfriedrichsburg et transportant 450 esclaves accosta à l’île St. Thomas dans les Caraïbes, île utilisée en commun par les Brandebourgeois et les Danois. D’autres transports d’esclaves suivirent[49] : les espoirs concernant des gains importants et une augmentation de la puissance du Brandebourg semblaient se réaliser. Il y eut bientôt dans la colonie brandebourgeoise à St. Thomas, trois cents Européens et quelques centaines d’esclaves. Actuellement les chercheurs considèrent que les Brandebourgeois ont déporté environ trente mille esclaves d’Afrique vers les Indes occidentales[50]. Même si le prince Électeur Frédéric III - qui succéda en 1688 au « Grand Électeur » et porta à partir de 1701, sous le nom de Frédéric 1er le titre de roi - tenta de perpétuer les ambitions et les activités coloniales, la « Compagnie brandebourgeoise d’Afrique et d’Amérique » s’enlisa dans les dettes et fut finalement liquidée par Frédéric-Guillaume 1er (au pouvoir depuis 1713). Ce au moment où les affaires coloniales antérieures à la deuxième phase de mondialisation accélérée, semblaient ne plus être lucratives. La dernière possession de la Compagnie fut mise aux enchères en 1738 - donc exactement trois décennies avant la publication du livre sur l’Amérique du philosophe hollandais, protégé de Frédéric II[51]. La politique coloniale de la Prusse qui avait donc essuyé un échec ne sera reprise que lors de la fondation de l’Empire allemand en 1871.
Que de Pauw ait donc pensé à un nouvel essor de la politique coloniale prusso-brandebourgeoise et qu’il ait ainsi voulu relancer la tradition hollandaise dans ce domaine ne peut être entièrement exclu, en l’état actuel de la recherche sur cette période,. Ce qui semble cependant être bien plus important dans ce contexte est que Berlin et Potsdam soient alors devenus un centre de débats internationaux sur le monde extra-européen grâce aux Recherches philosophiques sur les Américains et les débats qui y sont liés. Antoine-Joseph Pernety, Zaccaria de Pazzi de Bonneville, Giovanni Rinaldo Carli, Delisle de Sales, Francisco Javier Clavijero, Drouin de Bercy et beaucoup d’autres participèrent à ces débats qui se prolongeront jusqu’au XIXe siècle. Dans la perspective actuelle, cette phase oubliée de l’historiographie et la mémoire collective est sans aucun doute une période importante de l’histoire des idées. Tout comme la politique coloniale que menèrent le Brandebourg ou la Prusse à la fin du XVIIe siècle et au début de XVIIIe siècle. Ces débats publics et ces discussions avec leur écho international sont d’une importance notoire pour une archéologie de la globalité, si on veut faire sortir cette période historique d’un oubli encore très largement répandu à Berlin et en Brandebourg.
Commerce mondial et histoire du monde en tant que monde en mutation
Si l’on consulte l’Encyclopédie française, on pourra constater à quel point ces débats internationaux, qui avaient en arrière-plan les voyages scientifiques britanniques et français mais aussi espagnols ou russes de la deuxième phase de mondialisation accélérée, ont pu changer la signification des objets extra-européens en général mais aussi la signification des questions qui concernaient le Nouveau Monde. Dans le premier volume de cette œuvre commune des Lumières européennes paru en 1751, on ne trouve sous l’entrée « Amérique » que quelques lignes, pas plus que pour « Amer » et bien moins que pour « Améthyste ». Sous l’entrée « Amérique » on apprend que l’Amérique est une des quatre parties du monde, qu’elle a été découverte en 1491 (sic !) par le Génois Colomb et qu’elle doit son mon à « Améric-Vespuce Florentin » qui a atteint le Nouveau Monde en 1497[52]. On n’y trouve pas beaucoup d’autres informations, si ce n’est que le continent est divisé en deux sous-continents l’Amérique du Sud et l’Amérique du Nord, pour le Sud il est noté qu’on y trouve en plus d’autres produits coloniaux, de l’or et de l’argent. Pour le Nord, ce qui ne saurait nous étonner, sont mentionnées les peaux de castor[53].
Dans le supplément à l’Encyclopédie, volume dont nous avons déjà parlé et qui parut en 1776 à Amsterdam, l’article sur l’« Amérique » comprends par contre pas moins de vingt pages de caractères serrés. La longueur de l’article a, en l’espace de deux décennies, été multiplié par soixante-dix. La première partie de l’article, de loin la plus longue, a été rédigée par Cornelius de Pauw qui utilise dans ce cadre un style bien moins polémique et des expressions très modérées[54]. De la même façon que dans ses Recherches philosophiques, de Pauw exclut catégoriquement et globalement de ses réflexions - ce avec l’attitude souveraine de l’homme des Lumières critique (et également critique de sources) - « les anciennes relations », les anciens documents, rapports et chroniques, les considérant comme peu dignes de foi, car là s’exprimeraient non seulement la « crédulité d’un enfant » mais aussi les « délires d’un vieillard »[55]. L’abbé hollandais avait donc suffisamment de place pour présenter à nouveau, dans ce cadre prestigieux, ses thèses de façon détaillée à un public international. Ce n’est donc pas un hasard si l’Amérique et les débats sur le Nouveau Monde dans le contexte d’une nouvelle vague de mondialisation ont occupé également dans les milieux autour de l’Encyclopédie une place grandissante.
Il est tout à la fois significatif et peu étonnant que l’œuvre de Raynal, complexe au niveau de sa genèse aussi bien que de son écriture, considérée à juste titre comme l’encyclopédie de l’expansion coloniale européenne et qui deviendra un énorme succès du XVIIIe siècle français[56], utilise à plusieurs endroits les mêmes stratégies et traditions de discours pour qu’un large public international s’intéresse au thème développé sur plusieurs milliers de pages. Ainsi l’introduction du premier volume de l’Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des européens dans les deux Indes rappelle dans ses formulations les premières lignes des Recherches philosophiques sur les Américains de Cornelius de Pauw ou aussi son article dans le supplément à l’Encyclopédie :
Il n’y a point eu d’événement aussi intéressant pour l’espèce humaine en général, & pour les peuples de l’Europe en particulier, que la découverte du Nouveau Monde & le passage aux Indes par le cap de Bonne-Espérance. Alors a commencé une révolution dans le commerce, dans la puissance des nations, dans les moeurs, l’industrie et le gouvernement de tous les peuples. [...]
Tout est changé, & doit changer encore. Mais les révolutions passées & celles qui doivent suivre, ont-elles été, seront-elles utiles à la nature humaine ? L’homme leur devra-t-il un jour plus de tranquillité, de bonheur & de plaisir ? Son état sera-t-il meilleur, ou ne fera-t-il que changer ?[57]
Guillaume-Thomas Raynal, qui connaissait très bien l’œuvre de Pauw, reprends avec des formulations presque inchangées le discours sur la signification éminente pour l’histoire du monde de la découverte de l’Amérique. Il élargit de façon programmatique la perspective des Indes occidentales avec celle des Indes orientales et donne au commerce - comme cela figure déjà dans le titre même de l’œuvre - une place importante et même décisive pour les bouleversements qui avaient transformé le monde de façon si fondamentale depuis la fin du XVe siècle. Ces considérations sur la première phase de mondialisation accélérée sont complétées par le fait qu’il énonce qu’aux révolutions qu’elle a déclenchées, d’autres viendraient s’y adjoindre dans le présent et le futur qui entraîneraient avec elles encore d’autres bouleversements fondamentaux. Quant à leurs effets sur le bonheur et le bien-être de l’humanité, il convient, selon l’auteur, d’attendre pour en juger.
L’incipit de l’Histoire des deux Indes met ainsi en scène une archéologie de la globalité en partant de la prise de conscience d’une double mondialisation, dont le principe est repris à plusieurs fois dans les nombreux volumes de l’œuvre : celle de la fin du XVe et du XVIe siècle et d’autre part celle de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. L’avenir de ces transformations - tout comme l’histoire elle-même - semble indéterminé. C’est le commerce qui constitue la force motrice et la dynamique d’un tel monde en mutation. Le philosophe dont la voix maintient l’unité des différentes partie de l’Histoire des deux Indes, qui souvent s’enferrent dans des contradictions, observe tout d’abord « l’Europe avant les découvertes »[58] pour ensuite choisir un point d’observation plus élevé dans l’espace et, de cette perspective au-delà de l’atmosphère qui embrasse l’ensemble de la terre, souligner la signification fondamentale pour l’ensemble de la planète d’un commerce mondialisé :
Elevé au-dessus de toutes les considérations humaines, c’est alors qu’on plane au-dessus de l’atmosphère, & qu’on voit le globe au- dessous de soi. C’est de-là qu’on laisse tomber des larmes sur le génie persécuté, sur le talent oublié, sur la vertu malheureuse. [...] C’est de-là qu’on voit la tête orgueilleuse du tyran s’abaisser & se couvrir de fange, tandis que le front modeste du juste touche la voûte des cieux. C’est là que j’ai pu véritablement m’écrier, je suis libre, & me sentir au niveau de mon sujet. C’est là enfin que, voyant à mes pieds, ces belles contrées où fleurissent les sciences & les arts, & que les ténèbres de la barbarie avoient si long-temps occupées, je me suis demandé : qui est-ce qui a creusé ces canaux ? qui est-ce qui a desséché ces plaines ? qui est-ce qui a fondé ces villes ? qui est-ce qui a rassemblé, vêtu, civilisé ces peuples ? & qu’alors toutes les voix des hommes éclairés qui sont parmi elles m’ont répondu : c’est le commerce, c’est le commerce.[59]
La rhétorique de l’Histoire des deux Indes qui joue avec une subtile économie de figures de lecteur[60] n’a pas su seulement provoquer - en comparaison avec les Recherches philosophiques de Pauw - un écho bien plus grand auprès du lectorat[61] mais surtout a considérablement élargir les champs spatiaux, thématiques et philosophiques, grâce à l’apport de nombreuses données statistiques que Raynal, Diderot et de nombreux autres collaborateurs et correspondants ont réunies. C’est cette dimension qui installa pour des décennies ce projet collectif comme œuvre de référence sur le monde extra-européen. Raynal qui lors de son exil hors de France n’a séjourné que peu de temps à la cour de Frédéric le Grand et qui rencontra en Allemagne un accueil bien plus réservé qu’en France, avait depuis la première édition de son Histoire en 1770 commencé à supplanter à la cour de Prusse l’œuvre de l’abbé.
Cependant dès le début du XIXe siècle, la grande époque des débats enflammés comme des discussions empreintes de sagesse sur le Nouveau Monde tendait vers le déclin non seulement pour l’œuvre de Cornelius de Pauw construite sur d’abruptes antinomies mais aussi pour l’Histoire des deux Indes de Guillaume-Thomas Raynal puis cette époque toucha ensuite à sa fin. Que le coup décisif lui fût porté par homme, qui était né en 1769 à Berlin dans la ville même où le deuxième volume des Recherches philosophiques sur les Américains venait précisément d’être publié n’est bien sûr qu’une note marginale et anecdotique, cependant on ne peut lui ôter toute signification symbolique.
Il est significatif que ce soit Drouin de Bercy, un des critiques les plus marquants du Hollandais (qui prétendait lui-même avoir été colon à Saint-Domingue, avoir participé en tant qu’officier à l’expédition, qui finalement échouera, de l’armée française sous le commandement du général Leclerc contre la révolution haïtienne et avoir passé en tout treize ans en Amérique) qui attaque dans son livre en deux volumes L’Europe et l’Amérique comparées, paru en 1818, Cornelius de Pauw quarante ans après la première parution des Recherches philosophiques sur les Américains en lui opposant Alexander von Humboldt : « His chief method of refuting De Pauw is to congront him with statements from Alexander von Humboldt, whom he quotes as absolute authority. »[62] Le plus jeune des deux frères Humboldt, qui après son long voyage en Amérique de 1799 à 1804, effectué en compagnie d’Aimé Bonpland, s’était établi pour de longues années à Paris, était celui qui détenait alors depuis longtemps la souveraineté discursive sur l’hémisphère américain. Un nouveau discours sur le Nouveau Monde était apparu et à nouveau Berlin et Potsdam jouèrent dans ce cadre un rôle important dans la première moitié du XIXe siècle.
Un concept de globalité au-delà de l’Autre radical
Le discours sur les régions extra-européennes et en particulier sur l’Amérique avait au seuil du XIXe siècle commencé à se transformer de façon fondamentale. Après être revenu de son Voyage dans les Régions équinoxiales du Nouveau Continent et avoir publié entre 1805 et 1838 un gigantesque livre de voyage avec trente in-folio grand format, de nombreuses éditions plus petites et des éditions traduites, Alexander von Humboldt savait très bien ce dont il parlait quand il écrivit, en 1813 à Paris, l’introduction des Vues des Cordillières et Monumens des Peuples Indigènes de l’Amérique:
L’ardeur avec laquelle on s’étoit livré à des recherches sur l’Amérique, diminua dès le commencement du dix-septième siècle ; les colonies espagnoles, qui enferment les seules régions jadis habitées par des peuples civilisés, restèrent fermées aux nations étrangères; et récemment, lorsque l’abbé Clavigero publia en Italie son Histoire ancienne du Mexique, on regarda comme très-douteux des faits attestés par une foule de témoins oculaires souvent ennemis les uns des autres. Des écrivains célèbres, plus frappés des contrastes que de l’harmonie de la nature, s’étoient plu à dépeindre l’Amérique entière comme un pays marécageux, contraire à la multiplication des animaux, et nouvellement habité par des hordes aussi peu civilisées que les habitans de la mer du Sud. Dans les recherches historiques sur les Américains, un scepticisme absolu avoit été substitué à une saine critique. On confondoit les descriptions déclamatoires de Solis et de quelques autres écrivains qui n’avoient pas quitté l’Europe, avec les relations simples et vraies des premiers voyageurs; il paroissoit du devoir d’un philosophe de nier tout ce qui avoit été observé par des missionnaires.
Depuis la fin du dernier siècle, une révolution heureuse s’est opérée dans la manière d’envisager la civilisation des peuples et les causes qui en arrêtent ou favorisent les progrès. Nous avons appris à connoître des nations dont les moeurs, les institutions et les arts diffèrent presque autant de ceux des Grecs et des Romains, que les formes primitives d’animaux détruits diffèrent de celles des espèces qui sont l’object de l’histoire naturelle descriptive. La société de Calcutta a répandu une vive lumière sur l’histoire des peuples de l’Asie. Les monumens de l’Egypte, décrits de nos jours avec une admirable exactitude, ont été comparés aux monumens des pays les plus éloignés, et mes recherches sur les peuples indigènes de l’Amérique paroissent à une époque où l’on ne regarde pas comme indigne d’attention tout ce qui s’éloigne du style dont les Grecs nous ont laissé d’inimitables modèles.[63]
Dans ce passage décisif, programmatique, relevant d’une grande érudition et n’ayant aucun objectif polémique, Alexander von Humboldt, que l’on peut considérer à juste titre comme un écrivain français d’une élégance certaine, décrit le tout début du XIXe siècle comme le seuil d’une époque qui est marquée par « l’heureuse révolution » du discours sur le monde extra-européen. Il est évident qu’il s’agit dans ce passage - comme dans beaucoup d’autres passages de l’œuvre de Humboldt - d’une réponse directe aux thèses et idées de Raynal mais surtout à celles de Pauw exprimées dans les Recherches philosophiques sur les Américains et qui s’opposent aux réflexions de Humboldt sur les cultures des « peuples indigènes d’Amérique ». Les grandes réalisations culturelles des peuples américains dont il montre l’existence dans ce passage, démontent pierre par pierre sur la base de ses propres recherches sur le terrain et de celles qu’il a effectuées dans les bibliothèques et archives en Amérique et en Europe, les thèses de l’abbé hollandais dont Humboldt ne citera bien sûr que très rarement le nom. Il remarquable que le seul auteur qu’il cite nominalement dans ce passage soit Francisco Javier Clavijero qui connaissait comme aucun autre, en tant que représentant des Lumières espagnoles du Nouveau Monde, l’histoire précolombienne des colonies espagnoles d’Amérique, mais aussi le présent du Mexique tardif et qui, en tant que pour ainsi dire représentant de l’Amérique en Europe, avait formulé les attaques, jusqu’à ce moment-là, les plus massives et les plus fondées contre de Pauw.
Dans sa Storia Antica del Messico[64] publiée tout d’abord en italien et en Italie après que les jésuites furent chassés des colonies, il avait attaqué avec véhémence tous les savants européens qui comme Buffon, de Pauw, Raynal ou Robertson avaient écrit sur l’Amérique et les Américains sans avoir jamais mis le pied au Nouveau Monde. Ainsi de façon discrète mais décidée Humboldt indiquait sa position au sein du débat sur le Nouveau Monde et faisait en même temps entendre les voix d’auteurs américains.
Comme Pernety avait déjà avancé être au moins allé dans le Nouveau Monde à la différence du Hollandais, Humboldt pouvait avec d’autant plus de force renvoyer à sa qualité de « témoin oculaire » et ainsi se distancier au niveau de la théorie de la connaissance de Buffon, de Pauw ou de Raynal. Il savait qu’un nouveau discours sur le monde extra-européen était en train de naître sur des bases empiriques et avec une orientation historique et comparative. La conception d’écrivains connus - et il pensait sûrement en premier lieu à Buffon et de Pauw, mais aussi Raynal - qui avait été dominante pendant des décennies et qui présentait l’Amérique comme un continent marécageux, émergé il y a peu des eaux et habité d’êtres faibles et sans forces, était défaite. La saine critique l’avait remporté sur le scepticisme absolu des philosophes rationalistes qui avaient taxé les anciens récits de mensonges parce qu’ils ne trouvaient pas place dans leur système de pensée. Dans les Vues des Cordillières et Monumens des Peuples indigènes, dans ses « Vues des peuples indigènes », Humboldt avait commencé à ne plus concevoir le Nouveau Monde comme un Autre radical, et ce également au niveau culturel, cet Autre radical pour lequel on avait fait passer ce continent depuis les premiers récits des navigateurs européens.
Et plus encore, cette nouvelle conception s’insérait dans un mouvement de recherches englobant le monde qui étudiait selon une perspective comparative l’Asie et l’Europe, l’Égypte et la Grèce antique, l’Inde et l’empire romain et les incluaient dans un réseau mondial de réflexions empiriques fondées. Humboldt avait développé dans ce cadre depuis 1805 une quantité incroyable d’études les plus diverses qui en tant que science globalisée et globalisante discutaient sans cesse ses propres résultats de recherche dans une perspective transdisciplinaire et comparative à un niveau mondial. Il concevait la science - à quelques exceptions près - non pas comme une force destructrice au service de l’expansion européenne mais comme une pratique du savoir au service de toute l’humanité. Qu’Humboldt, malgré ses explications citées ci-dessus n’ait pas toujours renoncé à concevoir l’antiquité grecque comme le méridien de l’histoire culturelle et des arts dans sa carte des cultures, appartient à ces contradictions qui traversent son projet porteur de l’avenir d’une autre modernité[65].
En partant de cette compréhension globalisante de la science qui se conçoit dans son historicité, il n’est que logique qu’Humboldt dans le contexte de son récit de voyage américain, n’ait pas seulement traité de la géographie, des plantes, des vues de la nature, des observations zoologiques et des cultures des peuples indigènes de l’Amérique mais aussi de cette période historique que j’ai appelée la première phase de mondialisation accélérée. Le texte qui était prévu à l’origine comme partie explicative de l’Atlas géographique et physique des régions équinoxiales du Nouveau Continent a développé, à chacune des livraisons, sa propre vie intellectuelle faisant de ce ouvrage – publié sous le titre pas vraiment succinct d’Examen critique de l’histoire de la géographie du Nouveau Continent et des progrès de l’astronomie nautique aux quinzième et seizième siècles - une partie des plus fascinantes de l’ensemble de son œuvre. Cette « partie-texte » de l’atlas[66] écrite en français entre avril 1834 et août 1838 était certes, comme beaucoup d’autres grands travaux de Humboldt un fragment, mais dès la première phrase de la « Préface » datée de novembre 1833 à Berlin, ce texte relève d’une finesse de réflexion non seulement au niveau de l’historiographie mais aussi de la philosophie de l’histoire et diffuse un charme qui font de sa lecture un événement toujours d’actualité :
Les siècles dans lesquels se révèle la vivacité du mouvement intellectuel, offrent le caractère distinctif d’une tendance invariable vers un but déterminé. C’est l’active énergie de cette tendance qui leur imprime de la grandeur et de l’éclat. Une suite non interrompue de découvertes géographiques, effet d’une noble communauté d’inspiration et d’ardeur chez les Portugais et les Castillans, une lutte sanglante prolongée par la réaction de la réforme religieuse, des mouvemens politiques tendant à refondre les institutions sociales, ont occupé successivement les esprits et donné à certaines périodes une physionomie individuelle.
Le quinzième siècle, dont je m’occupe de préférence dans cet ouvrage, offre un intérêt qu’on pourrait appeler de position dans l’échelle chronométrique des progrès de la raison. Placé entre deux genres de civilisation, il offre comme un monde intermédiaire appartenant à la fois au moyen-âge et aux temps modernes.[67]
Il est caractéristique pour la pensée de Humboldt que le chercheur dans les domaines de la nature et de la culture associe les lexèmes pour lui si significatifs et décisifs de mouvement et de vie ou bien aussi de vivant. Il le fera aussi plus tard dans la première phrase de la « préface » écrite à Potsdam en novembre 1844, de son livre Cosmos dont la phrase d’incipit est la suivante : « Je remets au soir d’une vie très mouvementée [¼] »[68]. On pourrait dire que l’ensemble de l’Examen critique et même peut-être l’ensemble de l’œuvre d’Alexander von Humboldt évolue autour des formes d’expression et des combinaisons les plus diverses des deux éléments vie et mouvements, autour de cette vivacité du mouvement intellectuel, qui dans cette esquisse relevant de l’histoire et plus encore de la philosophie de l’histoire a marqué la physionomie du siècle considéré comme un monde intermédiaire entre le Moyen-Âge et les temps modernes. Ce ne sont donc pas seulement les mouvements dans l’espace, la suite ininterrompue de voyages et de découvertes, mais aussi et en particulier les mouvements intellectuels qui pour Humboldt se trouvent au centre d’une interrogation géographique, historiographique, relevant de la philosophie de l’histoire et de l’histoire des idées sur les dynamiques de la constitution et de la diffusion du savoir.
Une archéologie de la globalité en tant qu’histoire du mouvement
Andreas Daum a fait remarquer à juste titre que la pensée de Humboldt pouvait être interprétée comme une histoire de l’espace et qu’elle a trouvé une application au niveau mondial[69]. Comme ce qui intéressait Humboldt dans Examen critique n’était pas que la génération locale ou régionale du savoir mais sa transplantation, son transfert, on pourrait parler - au-delà de ce spatial turn[70] toujours et encore proclamé - d’une histoire du mouvement au sens propre du terme.
De ce point de vue, on peut considérer sans aucun doute l’intérêt de Humboldt comme vectoriel. Car, d’une part il recherche les relations transrégionales, transaréales et transcontinentales entre espace et savoir et d’autre part, il tente de retrouver les mouvements historiques enregistrés de façon vectorielle dans les mouvements du savoir de son époque et de les présenter de façon aussi précise que possible dans l’histoire du savoir. Cette dimension spécifiquement vectorielle de sa pensée a comme objectif de faire ressortir à la façon pour ainsi dire d’une anagramme, les mouvements sous les mouvements au sein d’une archéologie qui peut être comprise dans un sens large comme une archéologie de la mondialisation. Celle-ci ne peut cependant être pensée - c’est tout au moins ce qui semble ressortir de l’histoire du mouvement dans l’Examen critique - que comme une archéologie du mouvement.
Les examens critiques de Humboldt sur les XVe et XVIe siècles, examens qui fascinent encore le lecteur contemporain, ont une construction qui comprend un grand nombre de couches superposées et sont pleines d’astuces. On peut ainsi montrer qu’également dans Examen critique la figure d’Alexander von Humboldt qui - comme le Prussien le savait sûrement - aurait porté dans les pays hispanophones le nom de Humboldt y Colomb (d’après sa mère issue d’une famille huguenote) - est reliée de façon anagrammatique avec celle de Christophe Colomb alias Cristóbal Colón, étant donné que les traces de ces deux « Explorateurs »[71] se recouvrent constamment et parfois de façon obsessive. Si on ne considère que l’Examen critique, on peut reconnaître en filigrane pour ainsi dire « derrière » Colomb, la figure de Humboldt. Mais changeons de point d’observation et interrogeons-nous sur la fonctionnalité de l’Examen critique au sein de l’ensemble de l’œuvre consacrée au voyage, dont il constitue en quelque sorte la pierre finale et nous remarquerons alors une image encore plus étonnante. Car les mouvements de la figure par excellence de l’explorateur européen deviennent visibles, pour ainsi dire « sous » les mouvements effectués aussi bien dans l’espace que dans la vie intellectuelle du voyageur et historiographe prussien qui - comme il le savait aussi - sera bientôt célébré comme celui qui a « découvert pour la deuxième fois » Cuba et cet espace que l’on appelle aujourd’hui l’Amérique latine. Par rapport à ce Colomb que la plupart des philosophes du XVIIIe siècle ont considéré comme un « grand homme » et qu’ils admiraient, Cornelius de Pauw avait déjà, reprenant un soupçon souvent exprimé, fait remarquer :
Christophe Colomb au contraire découvrit en 1492 une route aisée ; & quand on le voit s’élever jusqu’au XXV degré de latitude nord, pour saisir ce vent d’est qui regne ordinairement entre les tropiques, & aller ensuite presque en droite ligne à l’île de Saint-Domingue, on seroit tenté de croire qu’il savoit cette route d’avance [...].[72]
Ce n’est sûrement pas ici le lieu pour supposer qu’il existe sous les mouvements de Colomb d’autres mouvements, ni pour analyser la thèse d’un explorateur plus ancien qui aurait confié son savoir au natif de Gênes. Humboldt a pu dans Examen critique utiliser les résultats scientifiques les plus nouveaux sur les mouvements aussi bien intellectuels que dans l’espace du XVe siècle et surtout la transcription, retrouvée peu d’années auparavant, que Bartolomé de Las Casas avait effectuée du journal de bord de Colòn. Humboldt a su dans son étude tout autant philologique que philosophique, comme aucun autre avant lui, lire et démêler l’entrelacs des couches superposées et tissées entre elles de tous les documents, les fictions, les sources et les prophéties, les récits de voyages et professions de foi de sorte que, de cette texture, l’action de l’explorateur puisse être reconstruite. Examen critique montre quels sont les chemins du savoir que Critòbal Colòn a transformés en itinéraires dans l’espace, auxquels il a confié ses navires et ses équipes sur le chemin qui devait les conduire en Inde, sans qu’un autre, qui par hasard aurait été déporté vers l’Ouest, lui ait parlé de cette possibilité. Dès le début de ses analyses, Humboldt a clairement déclaré que les grandes découvertes qui ont marqué le mouvement d’expansion de l’Europe, n’était en aucun cas le fruit du hasard :
Les grandes découvertes de l’hémisphère occidental ne furent point le résultat d’un heureux hasard. Il serait injuste d’en chercher le premier germe dans ces dispositions instinctives de l’âme auxquelles la postérité attribue souvent ce qui est le résultat d’une longue méditation. Colomb, Cabrillo, Gali, et tant d’autres navigateurs qui, jusqu’à Sébastien Viscayno, ont illustré les annales de la marine espagnole, étaient, pour l’époque à laquelle ils vivaient, des hommes remarquables par leur instruction.[73]
L’histoire des découvertes est ainsi pour Humboldt, en fin de compte, une histoire du savoir et sa transposition en mouvement. Pour « l’historiographe de l’Amérique »[74] comme il se considérait lui-même, le lien qu’il a tissé certainement non sans fierté et qui le relie avec Colomb n’était qu’une partie d’un mouvement bien plus large qui définit le lieu historique de son Examen critique mais aussi celui de bien d’autres de ses écrits. Ainsi le travail historiographique devient lui-même une partie et une qualité d’une globalité, qui ne peut vraiment être pensée en tant que telle que si elle est consciente de sa propre histoire. En conséquence de quoi, la globalité est engrenée au plus profond d’elle-même dans sa propre archéologie.
Dans la préface de son travail sur l’histoire des découvertes, Humboldt a souligné le fait qu’il présentait un travail pour lui particulièrement important : « auquel pendant trente ans, je me suis livré dans tous mes momens de loisir et avec une extrême prédilection »[75]. Il ne regrette cependant aucunement le temps et les efforts que ses recherches lui ont coûté, car c’est « le devoir de l’historien » de faire ressortir dans chaque siècle « le caractère individuel et les traits distinctifs de son mouvement intellectuel » - et là réapparaît ce concept clé de la pensée de Humboldt[76]. Ce devoir de l’historien qui consiste à faire apparaître des caractères distinctifs de chaque époque, Humboldt l’accomplit avec une grande prédilection, avec une distance et différence historiques tout à fait conscientisées :
Au milieu des idées qui gouvernent le dix-neuvième siècle, pendant l’essor prodigieux d’une civilisation qui avance et ne vit, pour ainsi dire, que dans le présent et pour un avenir très prochain, on a de la peine à comprendre une époque glorieuse pour le genre humain où, aprés avoir fait de grandes choses, on se plaisait à jeter les yeux en arrière, à scruter patiemment si ces grandes choses étaient l’accomplissement d’antiques prédictions.[77]
La différence entre une conscience cyclique de l’histoire pour laquelle l’historia est et reste la magistra vitae[78] et une compréhension de l’histoire orientée vers l’avenir et appartenant aux temps modernes - compréhension d’une « époque vélociphérique »[79] comme le formulait Goethe de façon appuyée - époque accompagnée d’une accélération diaboliquement vélociphérique ; cette différence donc constitue le cadre de référence des examens critiques qui tentent de comprendre le présent en prenant non seulement en compte la distance par rapport à ce qui est devenu historique mais aussi le processus de son devenu historique. Ceci est particulièrement valable pour un récit de voyage en plusieurs volumes qui cherche au travers de l’examen critique d’une première phase de mondialisation accélérée à trouver une réponse probante au niveau philologique et à celui de la philosophie de l’histoire aux défis de la deuxième phase de mondialisation accélérée. Au centre de ce questionnement se situe la tentative d’analyse des interactions et entrelacs entre l’Ancien et le Nouveau Mondes aussi bien dans l’espace que dans le temps et de détection des transferts de savoir qui concernent tout aussi bien la constitution et la production de nouveau savoir que sa diffusion spécifique dans l’espace. Colomb apparaît en ce sens comme un médiateur de savoir ou plutôt comme celui qui fait bouger le savoir d’un monde intermédiaire sur la scène du « théâtre du monde » pour multiplier les objets à l’horizon de la pensée européenne et ainsi démultiplier brusquement « la masse des idées »[80]. Cette pensée, qui en fin de compte nous rappelle Voltaire, prend cependant la dimension d’un double mouvement, où pour Humboldt il s’agit moins de l’apparition du savoir que de son enchaînement, pour ainsi dire au niveau d’une conception globalisée de l’histoire à l’horizon d’une distribution du savoir et du transfert des idées :
En rappelant ce que la pensée de deux hommes, Toscanelli et Colomb, a ajouté à l’esprit humain, il ne faut pas se borner aux étonnans progrès qu’ont faits simultanément la géographie, le commerce des peuples, l’art de naviguer et l’astronomie nautique, toutes les sciences physiques en général, enfin la philosophie des langues, agrandie par l’étude comparée de tant d’idiomes bizarres et riches de formes grammaticales. Il faut envisager surtout l’influence qu’a exercée le Nouveau-Continent sur les destinées du genre humain sous le rapport des institutions sociales. La tourmente religieuse du seizième siècle, en favorisant l’essor d’une libre réflexion, a préludé à la tourmente politique des temps dans lesquels nous vivons. Le premier de ces mouvemens a coïncidé avec l’époque de l’établissement des colonies européennes en Amérique ; le second s’est fait sentir vers la fin du dix-huitième siècle, et a fini par briser les liens de dépendance qui unissaient les deux mondes.[81]
Humboldt élargit ainsi « l’influence » des relations américano-européennes aux développements politiques et sociaux et aux bouleversements qui auparavant n’étaient compris que dans un contexte purement européen[82]. Il crée ainsi une archéologie de la globalité dans laquelle les phénomènes et les évolutions du présent acquièrent une transparence particulière dans la mesure où les évolutions et les mouvements antécédents d’une époque plus reculée apparaissent sous les nouveaux en une relation globale. Alexander von Humboldt ne pense pas seulement à cet effet de longue durée - qui avec l’analyse des langues américaines, la rédaction des premières grammaires au XVIe siècle a influencé la réflexion de la philosophie du langage au XIXe siècle - mais aussi à cette évolution de l’histoire de la science à laquelle il a fortement participé lui-même. Non seulement en tant que celui qui collectionne et rapporte des matériaux à son frère Wilhelm mais aussi en tant que précurseur de nouveaux concepts linguistiques[83]. Il essayait aussi de comprendre l’histoire des institutions et l’histoire sociale de l’Europe dans son cadre global, donc tout ce qui avait transformé “puissamment [¼] la face politique et les destinées de l’Ancien Continent”[84]. Cette entreprise présentée dans le passage cité ci-dessus prend aussi en compte les mouvements d’indépendance (à cette époque largement terminés) des colonies européennes sur le continent américain, qu’il a suivis pour ainsi dire pas à pas et sur lesquels il a opéré une réflexion critique dans son propre ouvrage sur l’Amérique, réflexion sur leurs fondements et évolutions lors de l’Independencia des colonies espagnoles en Amérique. Dans l’oscillation entre deux niveaux de temps, qui traverse l’ensemble des examens critiques[85], l’histoire de l’Europe dans un contexte global accède par la mise en évidence de sa relationalité mondiale à une pluridimensionalité qu’on ne pourrait que souhaiter à l’historiographie européenne actuelle. L’histoire de l’Europe, et cela Humboldt en était conscient, ne pouvait pas être comprise de façon adéquate d’une perspective uniquement européenne. Sans l’histoire du Nouveau Monde, l’histoire de l’Ancien Monde ne pouvait apparaître que raccourcie, en quelque sorte amputée.
Parallèlement Humboldt rendait attentif à ce que nous appellerions aujourd’hui les continuités structurelles de certains phénomènes de mondialisation, qui relient de façon dramatique la première et la deuxième phase :
Telle est la complication des destinées humaines que ces mêmes cruautés qui ont ensanglanté la conquête des deux Amériques, se sont renouvelées sous nos yeux, dans des temps que nous croyons caractérisés par un progrès prodigieux des lumières, par un adoucissement général dans les moeurs, et cependant un même homme, à peine au milieu de sa carrière, a pu voir la terreur en France, l’expédition inhumaine de Saint-Domingue, les réactions politiques et les guerres civiles continentales de l’Amérique et de l’Europe, les massacres de Chio et d’Ipsara, les actes de violence qu’ont fait naître tout récemment, dans la partie méridionale des Etats-Unis, une atroce législation concernant les esclaves, et la haine de ceux qui voudraient la réformer.[86]
Le fait que la violence, l’oppression et la passion humaine soient « les mêmes au dix-neuvième comme au seizième siècle »[87] et que l’expédition punitive de la France contre la Révolution Haïtienne[88] tout comme la législation sur les esclaves dans les Etats du Sud des Etats-Unis contredisent toute la philosophie des Lumières ne signifie pas pour Humboldt que l’on doive renoncer à l’espoir de tout progrès. Il percevait bien plus une « tendance moderne » dans le « perfectionnement des institutions » tout comme dans « l’ordre social »[89] de telle sorte qu’il ne pensait pas, malgré tout le scepticisme qui était certes de mise, devoir renoncer à son projet d’une autre modernité[90]. Car le projet de modernisation de Humboldt reposait précisément sur le fait que ce projet essayait de tirer les conséquences des actes de violence et des processus de mondialisation transatlantiques et qu’il éclairait une histoire nationale ou européenne de la perspective d’une relationalité de l’histoire du monde. Concevoir ensemble des phénomènes singuliers comprenait, dans la science humboldtienne, non seulement la nature mais aussi la culture et précisément aussi l’histoire de l’humanité. Il convenait cependant de la comprendre à partir de son devenu historique et ainsi à partir d’une suite de phases de mondialisation différentes mais se situant quand même dans une continuité fondamentale, ce qui conduisait au fait de concevoir ensemble une ou des histoires particulières ou nationales en une conception de l’histoire plusieurs fois croisée et entrelacée. L’Examen critique constitue le premier pas vers une conception de l’histoire qui pense le temps et l’espace dans leur combinaison comme une histoire du mouvement et qui s’intéresse en premier chef au transfert et à la translation du savoir : une pensée de la globalité en tant qu’archéologie de sa mobilité.
Les exemples d’une telle archéologie qui tente de faire ressortir sous les phénomènes de mondialisation actuelle des phénomènes de mondialisation des siècles passés pourraient être multipliés. Ils renvoient à une compréhension de l’histoire, qui pense et inclut constamment sa dimension globale de l’histoire pour pouvoir la présenter comme une histoire du mouvement et des échanges. Une conscience de la globalité présuppose une compréhension historique et différenciée de la mobilité.
En considérant l’Amérique, Humboldt a bien sûr souligné, comme de Pauw, la rapidité incroyable avec laquelle un rapport de forces asymétrique s’était établi entre l’Ancien et le Nouveau Mondes, puisque, en l’espace de six ans - entre 1492 et 1498 - la « répartition de la puissance sur la surface de la terre » fut décidée et une « supériorité des peuples occidentaux » fixée[91]. Nous ne devrions pas nous laisser tromper par les efforts observables dans toute l’œuvre de Humboldt qui tendraient à une compensation future : la puissance et la violence sont pour le chercheur et le savant, depuis le début, des éléments structurels marquants des relations entre l’Europe et l’Amérique. Cependant cette répartition inégale de la puissance conduit, pour lui, aussi à une nouvelle répartition du savoir, crée ainsi de nouveaux chemins de savoir, qui s’établissent à un niveau mondial au moment de la transition entre les XVe et XVIe siècles. Ainsi à la fin du quatrième volume de l’Examen critique, Humboldt s’exclame-t-il sur la nature de ce siècle, quel siècle que celui durant lequel tant de nouveaux chemins ont été tracés, et émises tant de nouvelles idées qui ont « accéléré puissamment » le progrès de l’intelligence et de la civilisation humaine[92].
Cette époque est cependant aussi insérée dans l’histoire d’une prise de conscience mondiale croissante, qui pour l’auteur de Kosmos a commencé à l’Est de la Méditerranée :
Was aber, wie schon oft bemerkt worden, die geographische Lage des Mittelmeers vor allem wohlthätig in ihrem Einfluß auf den Völkerverkehr und die fortschreitende Erweiterung des Weltbewußtseins gemacht hat, ist die Nähe des in der kleinasiatischen Halbinsel vortretenden östlichen Continents; die Fülle der Inseln des ägäischen Meeres, welche eine Brücke für die übergehende Cultur gewesen sind; die Furche zwischen Arabien, Aegypten und Abyssinien, durch die der große indische Ocean unter der Benennung des arabischen Meerbusens oder des rothen Meeres eindringt, getrennt durch eine schmale Erdenge von dem Nil-Delta und der südöstlichen Küste des inneren Meeres. Durch alle diese räumlichen Verhältnisse offenbarte sich in der anwachsenden Macht der Phönicier und später in der der Hellenen, in der schnellen Erweiterung des Ideenkreises der Völker der Einfluß des Meeres, als des verbindenden Elementes. Die Cultur war in ihren früheren Sitzen in Aegypten, am Euphrat und Tigris, in der indischen Pentapotamia und in China an reiche Stromlandschaften gefesselt gewesen; nicht so in Phönicien und Hellas. In dem bewegten Leben des Griechenthums, vorzüglich im ionischen Stamme, fand der frühe Drang nach seemännischen Unternehmungen eine reiche Befriedigung in den merkwürdigen Formen des mittelländischen Meerbeckens, in seiner relativen Stellung zu dem Ocean im Süden und Westen.[93]
La répartition entre terres et mers de la région méditerranéenne est donc considérée ici comme le point de départ d’un mouvement de l’histoire mondiale dans laquelle s’inscrit facilement l’activité d’Alexander von Humboldt aussi bien en tant que voyageur, historien et philosophe de niveau mondial. Il est éminemment significatif que dans l’expression « la vie mouvementée de l’hellénisme » la combinaison sémantique de la vie et du mouvement, qui y apparaît une fois de plus, si significative pour la science de la vie humboldtienne qui est en même temps une science du mouvement, nous renvoie à l’archéologie de la globalité qu’il pratique, dont la conscience ne peut que se développer en une conscience du monde, quand elle se rend compte de ses mouvements antérieurs. Une histoire de l’espace et d’une génération et répartition du savoir rendu possible par des rapports spatiaux spécifiques est ainsi transférée dans une histoire du mouvement au centre de laquelle se trouvent les figures de mouvement vectorielles donc plus anciennes qui pour ainsi dire emmagasinent et transforment les dynamiques. Il devient ici au plus tard évident qu’une archéologie de la globalité au sens humboldtien doive impliquer une archéologie de la mobilité et de la relationalité, si elle veut développer une compréhension adéquate de la mondialisation et non pas se figer dans une symptomatique superficielle dépourvue d’histoire - comme on le voit si souvent aujourd’hui. C’est pourquoi le travail d’Humboldt avec Christophe Colomb et Amerigo Vespucci dépasse largement les objectifs d’un travail purement historiographique. Il tente en rendant lisibles les mouvements sous les mouvements et les mondialisations sous les mondialisations de développer un savoir sur le vivre qui, dans le contexte de la deuxième phase de mondialisation accélérée, contient aussi un savoir sur le survivre, étant donné qu’avec une force accrue se pose la question de savoir comment assurer à un niveau mondial un vivre ensemble pacifique des hommes et de leurs cultures différentes.
Un tel savoir sur le vivre ensemble, comme le savait Alexander von Humboldt, doit comme pour chaque sorte de transfert de savoir, être sûr « qu’à toutes les époques de la vie des peuples, ce qui tient aux progrès de la raison, a ses racines dans les siècles antérieurs »[94]. Il s’agit en fin de compte d’établir un lien entre les époques différentes de la vie des peuples.
Ce qui est décisif pour la conscience du monde de Humboldt lui-même, mais aussi pour la conscience qu’il a de lui-même en tant qu’intellectuel avant la lettre est la conviction qu’il exprimait dans la préface d’Examen critique à savoir que l’interruption d’époques lumineuses par des phases sombres ne peut être ni le destin immuable, ni le principe de vie d’individus ou de peuples[95]. Une globalité qui reconnaît dans sa propre archéologie, dans la découverte de ses schémas de mouvement et de ses réflexions antécédentes la condition préalable de son existence est bien la seule à offrir la possibilité de ne pas revivre - comme un retour du refoulé - ces pages sombres de la mondialisation qui ont été inconsciemment ou consciemment oubliées. Une archéologie de la globalité ainsi comprise pourrait indiquer le point où une conscience du monde se métamorphose en un savoir sur le vivre ensemble en tant que savoir vivre ensemble dans la différence.
Traduit par Sylvie Mutet
[1] Zwischenbericht der Enquête-Kommission des Deutschen Bundestages « Globalisierung der Weltwirtschaft - Herausforderungen und Antworten ». Imprimé 14/6910 du 13.9.2001, p.3.
[2] Zwischenbericht, p.3.
[3] Zwischenbericht, p.2. [La mondialisation est tout d’abord une interconnexion économique mondiale. Avant 1990, le terme de mondialisation était à peine employé. On parlait peut-être de l’internationalisation de l’économie qui a débuté plus tôt. Elle a commencé durant les siècles des navigateurs (européens) et s’est poursuivie - de façon tragique - pendant l’époque coloniale du XIXe siècle. [¼] Avec les progrès techniques du domaine des transports et de la communication, l’interconnexion économique des Etats, des régions et des continents s’est continuellement intensifiée. Plus tard des objectifs politiques d’intégration régionale et de maintien de la paix ont renforcé cette interconnexion économique.]
[4] Cf. Michel Foucault, Les mots et les choses (Paris, Gallimard, 1966).
[5] Cf. Ottmar Ette, Wege des Wissens. Fünf Thesen zum Weltbewusstsein und den Literaturen der Welt. In: Hofmann, Sabine / Wehrheim, Monika (dir.): Lateinamerika. Orte und Ordnungen des Wissens. Festschrift für Birgit Scharlau (Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2004), p.169-184.
[6] Cf. pour ces quatre phases, une description précise in : Ottmar Ette, Wege des Wissens, p.169-172.
[7] Cf. Matthias Albert, Zur Politik der Weltgesellschaft. Identität und Recht im Kontext internationaler Vergesellschaftung (Weilerwist: Velbrück Wissenschaft, 2002), p.340.
[8] Cornelius de Paw, Recherches philosophiques sur les Américains, ou Mémoires intéressants pour servir à l'Histoire de l'Espèce humaine. 2 vol. Berlin: Chez Georges Jacques Decker, Imp. du Roi 1768-1769, ici Bd. I, S. a2v f. Une édition allemande a suivi rapidement: Philosophische Untersuchungen über die Amerikaner, oder wichtige Beyträge zur Geschichte des menschlichen Geschlechts. Traduction de Carl Gottlieb Lessing. 2 vol. Berlin: Decker und Winter 1769.
[9] Cf. Henry Ward Church, “Corneille de Pauw, and the controversy over his «Recherches philosophiques sur les Américains»”. In PMLA (New York) LI, 1 (mars 1936), p.180 sq et Gisbert Beyerhaus, “Abbé de Pauw und Friedrich der Große, eine Abrechnung mit Voltaire”, in: Historische Zeitschrift (Munich- Berlin) 134 (1926), p. 465-493.
[10] Cornelius de Pauw évalue de façon semblable la signification au niveau de l’histoire mondiale de ce qu’on appelle la découverte du Nouveau Monde plusieurs années plus tard dans sa longue contribution au Supplément à l’Encyclopédie ; cf. ici la première phrase de l’article de Cornelius de Pauw Amérique. In : Supplément à l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers. Par une société de Gens de Lettres. Mis en ordre et publié par M***. Tome premier (Amsterdam, Chez M.M. Rey libraire, 1776), p. 343 : "L’histoire du monde n’offre point d’événement plus singulier aux yeux des Philosophes, que la découverte du nouveau continent qui, avec les mers qui l’environnent, forme tout un hémisphère de notre planète [¼]."
[11] Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques, vol. I, p.a3v.
[12] Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques, vol.I, p.a4r.
[13] Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques, vol.I, p.a3r.
[14] Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques, vol.I, p.a3r.
[15] Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques, vol.I, p.a4v.
[16] Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques, vol.I, p.a4v.
[17] Antonello Gerbi, La Disputa del Nuovo Mondo. Storia di una Polemica: 1750-1900. Nuova edizione a cura di Sandro Gerbi (Milan – Naples, Riccardo Ricciardi Editore, 1983), p.117.
[18] Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques, vol.I, p.90.
[19] Cf. Gerhard Steiner, Georg Forster, “Reise um die Welt” in: Forster, Georg: Reise um die Welt. Edité par et avec un épilogue de Gerhard Steiner (Francfort sur le Main : Insel Verlag 1983), p.1015.
[20] Georg Forster, “Die Nordwestküste von Amerika, und der dortige Pelzhandel” in (même auteur): Werke. Sämtliche Schriften, Tagebücher, Briefe. Vol.V: Kleine Schriften zur Völker- und Länderkunde. Édité par Horst Fiedler, Klaus-Georg Popp, Annerose Schneider et Christian Suckow (Berlin, Akademie-Verlag 1985), p.380. [À grands pas s’approche le moment où l’ensemble de la surface de la Terre sera révélé à l’esprit de recherche des Européens et chaque lacune de nos sciences empiriques si elle n’est pas entièrement comblée, sera complétée de telle sorte que nous pourrons avoir une vue d’ensemble complète sur la relation entre les choses, tout au moins sur ce point de l’éther que nous habitons.]
[21] Georg Forster, Die Nordwestküste, p.393.
[22] Georg Forster, Die Nordwestküste, p.395.
[23] Georg Forster, Die Nordwestküste. [Ici commence une nouvelle époque au sein de l’histoire singulière du commerce européen, ce commerce dans lequel l’entière histoire du monde semble peu à peu se dissoudre. Tant d’idées et de faits assaillent le chercheur que le devoir de tout éditeur des nouveaux voyages par voie de terre ou voies de mer est de rapporter tout ce qui est en relation avec ces idées et ces faits, de tout rassembler en un centre et surtout de faciliter à un public comme le nôtre, qui ne peut prendre part qu’indirectement par la littérature aux découvertes des puissances maritimes, une vue d’ensemble sur ce qui s’est déroulé jusqu’à présent et la formation d’un jugement sur l’importance de l’ensemble de ces faits.]
[24] Forster fait ici entre autres référence à un écrit d’Alexander Dalrymple sur le commerce des fourrures ; cf. Georg Forster, Die Nordwestküste, p.778.
[25] Cf. Ottmar Ette, Literatur in Bewegung. Raum und Dynamik grenzüberschreitenden Schreibens in Europa und Amerika. Weilerwist: Velbrück Wissenschaft 2001, p.9 et 539.
[26] Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques, vol.I, p.a3v.
[27] Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques, vol.I, p.237.
[28] Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques, vol.I. p.238
[29] Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques, vol.I, p.95.
[30] Henry Ward Church, Corneille De Pauw, p.179
[31] Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques, vol.I. p.a2v.
[32] Cf. entre autres Henry Ward Church, Corneille De Pauw and the Controversy over His Recherches philosophiques sur les Américains, p.189 et passim ; Duchet, Anthropologie, p.206 ; Manfred Tietz, « Amerika vor der spanischen Öffentlichkeit des 18. Jahrhunderts. Zwei Repliken auf de Pauw und Raynal : Die « Reflexiones imparciales » de Juan Nuix y Perpiñà et la « México conquistada » de Juan de Escoiquiz » in : Lòpez de Abiada, José Manuel / Heydenreich, Titus (dir.) : Iboamérica. Historia - sociedad - literatura. Homenaje a Gustav Siebenmann. vol. 2. Munich : W. Fink 1983, p.991-993; ou Roberto Ventura, « Lectures de Raynal en Amérique latine au XVIIIe et au XIXe siècles » in : Lectures de Raynal, p.341-359.
[33] L’analyse la plus claire se trouve in : Antonello Gerbi, « La Disputa del Nuovo Mondo », p. 99-109.
[34] Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques, vol.I, p.a3r.
[35] Cf. Jean-Jacques Rousseau : Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. In (même auteur) Œuvres complètes. vol.III. Édition publiée sous la direction de Bernard Gagnebin et Marcel Raymond avec, pour ce volume, la collaboration de François Bouchardy, Jean-Daniel Candaux, Robert Derathé, Jean Fabre, Jean Starobinski et Sven Stelling-Michaud (Paris : Gallimard 1975) ; cf. dans ce contexte quant à l’épistémologie de l’œil et de l’oreille, Ottmar Ette : Literatur in Bewegung, p.119-192.
[36] Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques, vol.II, p.68 sq.
[37] Cf. A. Gerbi, La Disputa del Nuovo Mondo, p.120-125.
[38] Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques sur les Américains, ou Mémoires intéressants pour servir à l’Histoire de l’Espèce humaine par Mr. De P. Nouvelle Edition, augmentée d’une Dissertation critique par Dom Pernety ; & de la Défense de l’Auteur des Recherches contre cette Dissertation. 3 vol. (Berlin, Decker, 1770). Je cite aussi par la suite des passages de la première édition.
[39] Erica Joy Mannucci, “The savage and the civilised: observations on a dispute between an enlightened writer and an illuminist” in: SVEC, 303 (Oxford, 1992), p.384. Parmi ces éléments, on trouve aussi “the critique of Eurocentrism ; the importance of gathering data in the field and verifying sources ; the recognition of the cultural diversity of the Other” (ibid.).
[40] Cf. H. W. Church, Corneille De Pauw, p.194-205.
[41] Cf. A. Gerbi, La Disputa del Nuovo Mondo, p.118 sq.
[42] Susanne Zantop, “Dialectics and Colonialism: the Undersite of the Enlightenment” in:, David W. Wilson / Robert C. Holub (Dir.): Impure Reason: dialectic of Enlightenment in Germany (Detroit: Wayne State University Press), p.315.
[43] S. Zantop, p.316.
[44] S. Zantop, p.316.
[45] Cf. Gerno Lennert, "Kolonisationsversuche Brandenburgs, Preußens und des Deutschen Reiches“ in der Karibik. In: Carreras, Sandra / Maihold, Günther (Dir.): Preußen und Lateinamerika. Im Spannungsfeld von Kommerz, Macht und Kultur. Münster LIT-Verlag 2004, p.11.
[46] G. Lennert, p.11.
[47] G. Lennert, p.12.
[48] G. Lennert, p.12 sq.
[49] G. Lennert, p.16.
[50] G. Lennert, p.17.
[51] G. Lennert, p.23.
[52] Entrée « Amérique » in : Encyclopédie, vol.1. (Paris, chez Briasson, 1751), p.356.
[53] Entrée « Amérique » in : Encyclopédie, vol.1, p.356.
[54] Entrée « Amérique » in : Supplément à l’Encyclopédie, vol.I, p.343-362.
[55] Entrée « Amérique » in : Supplément, vol.I, p.344.
[56] Cf. entre autres Hans-Jürgen Lüsebrink, « Die Geschichte beider Indien - ein verdrängter Bestseller » in : Raynal, Guillaune [sic] / Diderot, Denis: Die Geschichte beider Indien. Choisi et commenté par Hans-Jürgen Lüsebrink (Nördlingen, Franz Greno Verlag, 1988), p.329-347.
[57] H81, Livre1, p.1 sq.
[58] H81, Livre1, p.2.
[59] H81, Livre1, p.3sq.
[60] Cf. Ottmar Ette, « Figuren und Funktionen des Lesens in Guillaume-Thomas Raynals »Histoire des deux Indes », in: Briesemeister, Dietrich / Schönberger, Axel (Dir.): Ex nobili philologorum officio. Mélanges pour le 80eme anniversaire d’Heinrich Bihler (Berlin, Domus Editoria Europaea, 1998), p.589-610.
[61] Cf. Gilles Bancarel, « Le succès inattendu d’un Rouergat au XVIIIe siècle », in : Procès verbaux de la Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron (Rodez), XLV, 2°fasc. (1988), p.218-225 ; et même auteur : Guillaume-Thomas Raynal : de la séduction à la sévérité, in : Revue de Rouergue, 28, 1991, p.477-488.
[62] H. W. Church, Corneille De Pauw, p.204.
[63] Alexander von Humboldt, Vues des Cordillères et Monumens des Peuples Indigènes de l'Amérique (Nanterre, Editions Erasme, 1989), p.96, p.II sq.
[64] Francisco Javier Clavijero, Storia Antica del Messico. 4 Vol. Cesena, Gregorio Biasani, 1780.
[65] Cf. Ottmar Ette, Weltbewusstsein. Alexander von Humboldt und das Projekt einer anderen Moderne (Weilerwist, Velbrück Wissenschaft, 2002).
[66] Cf. Horst Fiedler; Ulrike Leitner, Alexander von Humboldts Schriften. Bibliographie der selbständig erschienenen Werke (Berlin, Akademie Verlag, 2000), p.152-165.
[67] Alexander von Humboldt, Examen critique de l'histoire de la géographie du Nouveau Continent et des progrès de l'astronomie nautique aux quinzième et seizième siècles. vol.I. (Paris: Librairie de Gide, 1836), p.VII sq.
[68] Alexander von Humboldt, Kosmos. Entwurf einer physischen Weltbeschreibung. Edité et avec un épilogue d’Ottmar Ette et d’Oliver Lubrich. Francfort sur le Main, Eichborn Verlag (Die andere Bibliothek), 2004, p.3.
[69] Cf. l’étude éclairante d’Andreas Daum, « Alexander von Humboldt, Natur als « Kosmos » und die Suche nach Einheit. Zur Geschichte von Wissen und seiner Wirkung als Raumgeschichte », in: Berichte zur Wissenschaftsgeschichte (Weiheim) 23 (2000), p.243-268.
[70] Cf. Karl Schlögel, Im Raume lesen wir die Zeit. Über Zivilisationsgeschichte und Geopolitik (Munich – Vienne, Carl Hanser Verlag, 2003).
[71] Cf. Ottmar Ette, “Entdecker über Entdecker: Alexander von Humboldt, Cristóbal Colón und die Wiederentdeckung Amerikas” in: Heydenreich, Titus (Dir.): Columbus zwischen zwei Welten. Historische und literarische Wertungen aus fünf Jahrhunderten. Volume I. (Francfort sur le Main, Vervuert Verlag, 1992), p.401-439.
[72] Cornelius de Pauw , Entrée « Amérique », vol.1, p.344.
[73] Alexander von Humboldt, Examen critique, p.7 sq.
[74] Quant à cette appellation maintes fois réclamée par Humboldt cf. Richard Konetzke, « Alexander von Humboldt als Geschichtsschreiber Amerikas » in : Historische Zeitschrift, (Munich) 188 (1959), p.526-565.
[75] Alexander von Humboldt, Examen critique, vol.I, p.X.
[76] Alexander von Humboldt, Examen critique, p. 191.
[77] Alexander von Humboldt, Examen critique, vol.I, p.190 sq.
[78] Cf. Reinhart Koselleck, “Historia Magistra Vitae. Über die Auflösung des Topos im Horizont neuzeitlich bewegter Geschichte » in (même auteur) : Vergangene Zukunft (Francfort sur le Main, Suhrkamp, 1984), p.38-66.
[79] Cf. pour le concept et le jeu de mot du « vélociphérique », qui apparaît souvent chez Goethe en particulier entre 1825 et 1827, en relation avec le concept d’une littérature mondiale développé par Goethe : Anne Bohnenkamp, « Den Wechseltausch zu befördern, Goethes Entwurf einer Weltliteratur” in: Goethe Johann Wolfgang, Ästhetische Schriften 1824-1832. Über Kunst und Altertum V - VI. édité par Anne Bohnenkamp (Francfort sur le Main, Deutscher Klassiker Verlag, 1999), p.937-964.
[80] Alexander von Humboldt, Examen critique, vol.III, p.153.
[81] Alexander von Humboldt, Examen critique, vol.III, p.155.
[82] Alexander von Humboldt, Examen critique, vol.III, p.155.
[83] Cf. l’intéressante analyse de Jürgen Trabant, « Ansichten der Sprache. Alexander von Humboldt und die amerikanischen Sprachen » In : D’Aprile, Iwan / Disselkamp, Martin / Sedlarz, Claudia (Dir.): Tableau de Berlin. Beiträge zur »Berliner Klassik« (1786-1815). Laatzen, Wehrhahn, 2005, p.157-182.
[84] Alexander von Humboldt, Examen critique, vol.III, p.158.
[85] Cf. Alexander von Humboldt, Examen critique, vol.III, p.296.
[86] Alexander von Humboldt, Examen critique, vol.III, p.317 sq.
[87] Alexander von Humboldt, Examen critique, vol.III, p.318.
[88] Cf. Pour une explication encore plus claire : Alexander von Humboldt, Examen critique, vol.III, p.374. On peut lire dans le contexte des méthodes cruelles de la chasse aux hommes au XVIe siècle : "Comme dans les guerres civiles les peuples d’Europe renouvellent toujours les cruautés des temps les plus barbares, l’expédition française de Saint-Domingue, en 1802, nous montre non-seulement des nègres prisonniers brûlés à petit feu, au milieu d’une grande population, mais aussi des chiens de Cuba, qui ont acquis une triste célébrité, employés à la chasse aux hommes."
[89] Alexander von Humboldt, Examen critique, vol.III, p.319.
[90] Cf. Ottmar Ette, Weltbewusstsein. Alexander von Humboldt und das Projekt einer anderen Moderne.
[91] Alexander von Humboldt, Examen critique, vol.IV, p.21.
[92] Alexander von Humboldt, Examen critique, vol.IV, p.335 sq.: "quel siècle que celui où l’histoire contemporaine pouvait offrir de telles images à l’orgueil des races, perpétuer par d’ingénieux emblèmes le souvenir de cet esprit chevaleresque qui, en frayant de nouvelles routes et en agrandissant la sphère des idées, a accéléré puissamment les progrès de l’intelligence et de la civilisation humaine !".
[93] Alexander von Humboldt, Kosmos, vol.II, p.154. [Comme cela a déjà été maintes fois souligné, ce qui a rendu la situation géographique de la Méditerranée bienfaisante dans son influence sur la circulation entre les peuples et l’élargissement croissant de la conscience du monde est la proximité du continent oriental déjà présent dans la presqu’île de l’Asie Mineure ; la multitude des îles de la mer Égée qui ont constitué un pont pour le passage de la culture ; le sillon entre l’Arabie, l’Égypte et l’Abyssinie qui permet au gigantesque océan indien d’y pénétrer sous le nom de la Baie arabe ou de la mer Rouge, séparé par une mince langue de terre du delta du Nil et de la côte Sud-est de la Mer intérieure. Par ces rapports spatiaux, l’influence de la mer s’est révélée être, pour la puissance croissante des Phéniciens et plus tard pour celles des Hellènes, pour le rapide élargissement du cercles des idées des peuples, un élément qui reliait cet ensemble. La culture avait été dans ses établissements anciens en Égypte, au bord du Tigre et de l’Euphrate, dans la Pentapotamia indienne et en Chine enchaînée à des régions fluviales ; il n’en fut pas de même en Phénicie et en Grèce. Durant la vie mouvementée de l’hellénisme, en particulier dans la lignée ionienne, le désir précoce d’entreprises maritimes fut richement satisfait à l’intérieur des formes étranges du bassin méditerranéen, dans sa position relative aux océans du Sud et de l’Ouest.]
[94] Alexander von Humboldt, Examen critique, vol.I, p.XVII.
[95] Alexander von Humboldt, Examen critique, vol.I, p.XVII sq.
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Letzte Aktualisierung: 01 November 2010 | Kraft
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